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DOUZE ANS DE SÉJOUR

drapeau, ni guidon, ni fanion qui indiquât une unité numérique à prendre pour base. Cependant, vu l’étendue du terrain que nous occupions, et prenant pour mesure approximative l’espace occupé par cent hommes, j’estimai à 27,000 le nombre de nos combattants ; ce qui, considérant les habitudes des armées indigènes, impliquait que l’armée entière comptait au moins 40,000 âmes.

Après une marche d’environ trois quarts d’heure, nous fîmes halte près d’un magnifique warka. Lorsque les trompettes de notre arrière-garde nous annoncèrent son approche, les timbaliers battirent au pillage, et à cette batterie impatiemment attendue, les soldats s’élancèrent en poussant de grandes clameurs. Les masses se rompirent, se disséminèrent par bandes et disparurent derrière les plis du terrain ; nous entendions encore leurs cris, que nos yeux ne les voyaient déjà plus. Le silence et la solitude où nous restâmes étaient saisissants ; notre armée s’était dissipée comme par enchantement, laissant derrière elle le squelette d’un camp, les femmes, les plus jeunes pages, les hommes sans armes voués aux bas services, quelques chefs et le Dedjazmatch, qui se retira sous sa tente plantée à l’ombre du warka.

Le warka, le plus bel arbre de l’Éthiopie, ne vient pas en pays deuga, et prospère surtout dans les plus bas kouallas, où il atteint des dimensions colossales. Partout où il se montre, il semble attirer les troupes de voyageurs et les caravanes, qu’il couvre d’une ombre épaisse et spacieuse.

Bientôt des colonnes de fumée s’élevant au loin, nous annoncèrent que l’œuvre de destruction commençait.