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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

housses écarlates, boucliers, javelines, les scintillations de l’argent, du cuivre, du vermeil et du fer, les mèches fumantes des carabines, timbales et trouvères chantant, le bruissement des poitrines haletantes, le roulement sourd que rendait la terre sous les pieds des chevaux, toute cette étrange cohorte allant, réveillait par son ensemble et ses détails le souvenir des plus antiques images historiques. Les habitants des villages se portaient en troupes sur notre route pour accueillir le Dedjazmatch de leurs cris de joie ; des groupes de jeunes filles le recevaient en chantant des villanelles ; les prêtres accouraient s’incliner sur son passage et bénir ses entreprises ; pour ces derniers, le Prince, par déférence, suspendait un moment sa marche. Nous étions en automne : pas le moindre nuage au ciel ; une chaleur douce et des brises agréables. Les moissons avaient été d’une abondance exceptionnelle ; les paysans paraissaient satisfaits. D’innombrables troupeaux jonchaient paisiblement les vastes prairies qu’animaient des volées d’ibis et des escouades de grues ; les bergers demi-nus, leur long bâton et leur flûte à la main, souriaient avec sécurité en nous voyant ; jusqu’à des compagnies de gazelles et d’antilopes qui s’enfuyaient un peu, puis s’arrêtaient pour regarder passer ; et pour que rien ne manquât à la marche triomphale du Dedjazmatch au milieu de cette explosion spontanée de l’affection de ses compatriotes, comme cet admoniteur qui marchait à côté du triomphateur à Rome, pour lui rappeler qu’il n’était qu’un homme, quelque paysan, posté de loin en loin, faisait entendre le cri perçant, à la fois suppliant et impérieux, usité par ceux qui réclament justice.

Le Prince s’arrêtait, et, s’il y avait lieu, donnait au plaignant un soldat chargé de faire redresser