Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/250

Cette page a été validée par deux contributeurs.
242
DOUZE ANS DE SÉJOUR

l’Innarya j’espérais, s’il le trouvait bon, m’arrêter plus longtemps auprès de lui.

Le lendemain matin, je fus surpris d’être appelé à l’heure qu’il consacrait d’ordinaire à l’expédition des affaires. Le Blata-Filfilo, Ymer-Sahalou et ceux de ses familiers avec lesquels j’avais le plus de rapports, se trouvaient auprès de lui. Mon drogman ne fut pas admis ; on envoya quérir le clerc, et dès qu’il parut, le Dedjazmatch rompit enfin un silence qui me pesait.

— Mikaël, me dit-il, tu es entré chez nous sous d’heureux auspices, le sage Lik Atskou m’ayant dit du bien de toi. Les hommes du Gojam n’avaient jamais vu un homme de ta race ; tu as excité leur intérêt, et mes familiers te diront que, depuis ton arrivée, si j’ai hâte de terminer l’expédition journalière des affaires, c’est pour causer avec toi. On dit chez nous que l’affection naît de l’habitude. Nous espérions d’autant plus que tu te laisserais aller à ce sentiment, que nous te sommes frères par la foi chrétienne ; nous avons tâché, selon nos moyens, de rendre heureux ton séjour, et nous nous habituions à l’idée de sa durée. Mais voilà que déjà tu songes à te séparer de nous, non pour regagner ton pays, mais pour aller chez ces Gallas, gens grossiers, ignorants, sanguinaires, où tu n’as aucun protecteur. Je ne cherche pas, en t’alarmant, à te détourner de ton voyage ; mais il est plus d’une façon de l’entreprendre, et celle que tu as choisie nous paraît la moins prudente. Qui peut prévoir les impressions que ta vue fera naître chez ces Gallas ? Ils sont dans toute l’obscurité du paganisme ; on dit même qu’ils pratiquent quelquefois le sacrifice humain. Ces trafiquants musulmans auxquels tu veux te joindre te trahiront à la première occasion ; et quand cela ne serait pas, ta manière d’être est inconciliable avec