Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/249

Cette page a été validée par deux contributeurs.
241
DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

jusqu’au Sennaar et jusqu’à Moussawa ; je leur expliquais à quel point les forces des puissances chrétiennes de l’Europe étaient supérieures à celles de l’Islamisme et de l’Asie entière. Ils me répondaient :

— Les Musulmans, qui seuls chez nous traversent la mer, nous assuraient le contraire ; mais il doit en être comme tu dis ; les paroles du Livre n’annoncent-elles pas que les enfants de la Croix domineront le monde ?

Tous faisaient des rapprochements critiques entre ce qui existe chez eux et ce que je leur racontais de mon pays ; quant au Prince, il me questionnait sans fin sur l’Europe et de la façon la plus intelligente. Ces échanges d’idées tendaient à modifier le jour sous lequel on me regardait ; les égards qu’on ne m’avait témoignés jusque là que par déférence pour le Prince me parurent prendre des nuances de sympathie personnelle.

Cependant, je dus me préoccuper d’atteindre l’Innarya, but de mon voyage ; la saison s’avançait, l’Abbaïe allait devenir infranchissable, et je ne voyais pas venir la grande caravane de Gondar. Je fis prendre des informations auprès des trafiquants musulmans, fort nombreux à Dambatcha, où, de même qu’à Gondar, ils habitent un quartier séparé de la ville ; beaucoup d’entre eux fréquentaient les marchés du Gouderou, du Liben, du Horro et de l’Innarya ; les plus aventureux poussaient même leur trafic au delà. Le Prince fut informé de mes démarches, et me dit un soir, après souper :

— Je crains, Mikaël, que la vie que tu mènes ici ne te soit à charge.

Je lui répondis que je ne manquais de rien, que mon séjour m’était agréable, et qu’à mon retour de