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DOUZE ANS DE SÉJOUR

en allant rapidement, on eût pu tenir, sans le répandre, un verre plein d’eau ; selon l’expression éthiopienne, elle cheminait comme l’onde. Comme je louais les qualités de ma nouvelle monture :

— Garde-la, me dit le Prince ; elle te permettra de m’accompagner avec moins de fatigue.

De retour de la chasse, je fis remettre à un des écuyers le harnais de ma mule ; mais le Dedjazmatch me fit dire de le garder, si toutefois il ne m’était pas désagréable de faire usage d’une selle qui lui avait servi deux ou trois fois. Elle était en maroquin rouge, brodée en soie bleue et couverte de prétintailles en cuir vert, rehaussées de clinquant ; une longue housse écarlate servait à la recouvrir quand le cavalier mettait pied à terre. En me donnant ce harnais, le Prince me conférait une sorte de distinction, car les chefs d’un rang élevé en avaient seuls de pareils. Depuis la chute de l’Empire, les insignes honorifiques ont perdu en partie de leur valeur, à cause du nombre de Polémarques indépendants s’attribuant le droit de les conférer ; néanmoins, à mon arrivée dans le Gojam, on faisait encore grand cas d’un semblable harnais.

Je passai ainsi quelques semaines à m’oublier agréablement, partageant mon temps entre la chasse, la lecture et mes entretiens avec le Prince, Ymer-Sahalou et son beau-père, et, chaque jour, je sentais croître mon affection pour eux. Quelquefois, le Dedjazmatch réunissait des notables curieux d’assister à nos conversations. Je les entretenais des mœurs, des coutumes de mon pays, de ses rapports avec les autres nations ; je leur parlais de nos armées, de nos grandes guerres ; je leur apprenais que Jérusalem n’était qu’à moitié chemin de la France, et que cependant ma qualité de Français me protégeait depuis notre territoire