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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

Tous les Éthiopiens condamnaient celle qui nous occupe, et tous néanmoins s’en rendaient coupables à l’occasion ; mais dès le lendemain du combat, ils faisaient disparaître soigneusement les traces de leur action, et tout homme qui se respectait évitait d’en parler. Mes représentations au Dedjadj Guoscho, ou plutôt l’influence de ces idées généreuses qui ont cours en Europe et fusent providentiellement jusqu’aux extrémités du globe, ont fait cesser en partie cet odieux abus de la victoire, et, lorsque je quittai le Gojam, il était tacitement admis qu’un homme de bonne condition se déshonorait en traitant ainsi un ennemi chrétien. Chez les simples soldats, la réforme s’opérait plus lentement, parce que ces dépouilles sanglantes prouvent le nombre d’ennemis qu’ils ont tués, et sont autant de titres à l’avancement.

Le gros des combattants arriva enfin ; ils firent leur entrée, chantant en chœur une espèce d’embatérie. Le Lidj Dori fut placé sur un haut alga, et fantassins, cavaliers et fusiliers, qui avaient tué ou fait des prisonniers, vinrent l’un après l’autre débiter leur thème de guerre devant lui. Ensuite, chacun alla déposer son bouclier, ses armes, desserrer sa ceinture, reprendre sa toge et se mêler aux groupes, pour raconter ses impressions personnelles ; en dernier lieu, cortége obligé, arrivèrent les blessés et quelques morts portés sur des civières.

Comme nous étions en carême, bon nombre de vainqueurs allèrent faire la sieste, pour mieux attendre l’heure tardive du repas.

Les Éthiopiens font durer le carême deux mois. Ils s’abstiennent de viande, de lait, de beurre, d’œufs, et, dans quelques provinces, même de poisson ; ils ne font qu’un seul repas vers la fin du jour, et ils s’abstiennent