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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

À notre rentrée à Gondar, chacun nous interrogea relativement au Dedjadj Guoscho. Le bruit courait que le Ras s’était emparé traîtreusement de sa personne, au moment où il se présentait à Dabra Tabor. Deux jours plus tard on assurait au contraire que le Dedjadj Guoscho, parti nuitamment avec sa cavalerie, avait surpris Dabra Tabor et emmené la Waïzoro Manann, prisonnière. On parlait aussi de la rébellion du Dedjadj Conefo, et les Gondariens n’osaient plus sortir de la ville. Pour dissiper ces alarmes, le Kantiba ou Gouverneur publia un ban, par lequel il menaçait de sévir contre les propagateurs de fausses nouvelles, et annonçait que le Dedjadj Guoscho, après trois jours passés à Dabra Tabor, avait rejoint son armée à Wanzagué et rentrait en Gojam.

Peu après, la ville fut encore mise en émoi par l’arrivée du Lidj Dori, fils du Dedjadj Guoscho, escorté d’une bande de 1,500 hommes. Ce jeune prince m’envoya saluer. Je me rendis aussitôt à l’église de Saint Tekla-Haïmanote, dans l’enceinte de laquelle on avait dressé une belle tente pour le recevoir.

Le Lidj Dori, âgé d’environ vingt ans, avait les traits d’une grande pureté, mais son regard atone et l’expression d’imbécillité de sa bouche faisaient peine à voir. Des ecclésiastiques gojamites qui l’accompagnaient parlaient pour lui ; il comprenait, dit-on, mais ne répondait que rarement. Les notables s’empressèrent d’aller le saluer et de lui offrir des cadeaux en pains, hydromel et comestibles de toutes sortes. À peine ren-

    s’être conformé à ce pieux usage, quand le curé lui demanda par précaution à quelle foi il appartenait. — Je suis Keubat, dit l’étranger. — Vil hérétique, reprit le curé, tu as profané mon église ! — Et s’armant d’une hache, il enleva soigneusement toute la partie du bois qu’il croyait contaminée par les lèvres du passant.