princes jeunes et bons sentent le besoin de s’en dépouiller par moments pour se rapprocher des autres hommes, l’homme étant, malgré tout, ce qu’il y a de plus intéressant et de plus attrayant sur la terre. Le Ras Ali aimait à se confondre avec ses sujets, ce qui l’amenait fréquemment à découvrir des injustices commises en son nom ; aussi, les opprimés, découragés par l’avidité de ses officiers, guettaient ses sorties, et souvent parvenaient à lui faire entendre leurs plaintes, malgré les gardiens que la Waïzoro Manann postait aux abords du champ de manœuvre, pour empêcher, disait-elle, son fils de se ravaler devant des étrangers.
Le jour suivant, à pareille heure, le Ras assista au jeu de cannes. Environ six cents cavaliers, partagés en deux camps, se chargeaient à fond de train, s’évitaient, se poursuivaient, rusant et évoluant de toutes manières, tantôt individuellement, tantôt par escouades, tantôt en masse, et se lançant, en guise de javelines, de longues verges ou même de lourds bâtons. Ils esquivaient ou se dérobaient par voltes, virevoltes et caracoles ; ils s’interpellaient, se provoquaient et poussaient des cris pour applaudir aux coups heureux ; les boucliers résonnaient sous les projectiles ; les chevaux secondaient souvent leurs maîtres par l’intelligence de leurs mouvements, et malgré la fièvre du jeu, les accidents étaient assez rares, me dit-on. J’y vis plusieurs chevaux et des cavaliers remarquables ; le Ras montait bien, mais sans grâce ; en revanche il lançait la canne à des distances considérables.
Il régnait à Dabra Tabor une animation inaccoutumée, causée par l’affluence de chefs et de notables, accourus sous divers prétextes, mais au