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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

intérêts avec plus de vigilance qu’eux-mêmes. En échange de leur dévouement, ils reçoivent des investitures et des positions, qui les mettent souvent à même de devenir à leur tour les protecteurs ou même les patrons de leurs premiers maîtres. Il y avait là des servants d’armes ou porteurs du bouclier et de la javeline du maître ; d’autres portant des estramaçons, sorte d’épée à deux tranchants, à poignée cruciale garnie d’argent, qu’on porte à l’épaule dans de longues housses écarlates, devant les Dedjazmatchs et certains chefs de haute marque ; des palefreniers ; des fusiliers avec leurs carabines à mèche, leurs cartouchières à pulvérin pendant ; mules richement enharnachées ; chevaux de combat piaffant sous leurs housses écarlates ; boucliers aux brillantes lamelles d’argent, de vermeil ou de cuivre ; javelines et sabres de toutes formes ; dards effilés et tragules, lorillarts, esclavines et zagayes, coutelas, bancals, lattes, cimeterres et harpés à l’antique. Ici, un groupe de paysans, aux cheveux courts, guettant le moment propice pour se plaindre de quelque avanie ; là, des bouffons, bouffonnant au milieu des rires ; des pieds poudreux de tout acabit ; des chiens en laisse se hargnant ; des pages émerillonnés, la toge en loques, se glissant partout, se picotant, se bravant entre eux ou chantant pouille à quelque passant malencontreux.

À notre apparition, tout ce monde fit silence et m’entoura avec une curiosité fort peu respectueuse. Le Lik Atskou échangea quelques paroles avec les huissiers, et heureusement ils nous laissèrent pénétrer dans l’enceinte ; là, le spectacle était tout différent. Environ trois cents hommes, quelques-uns debout, d’autres accroupis sur le sol poudreux,