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DOUZE ANS DE SÉJOUR

lutte, au maniement du cheval, au tir à la carabine ou à lancer la javeline, tels avaient été jusqu’alors les meilleurs moyens de s’attirer sa faveur. On le disait intelligent, réfléchi, discret, timide, d’une sobriété, d’une tempérance exceptionnelles, économe, facile à émouvoir à la pitié, et d’une simplicité qui contrastait avec l’ostentation habituelle de sa mère. On craignait qu’il n’inclinât vers l’Islamisme : il comptait plusieurs musulmans dans sa parenté, allait rarement à l’église et affectionnait les locutions et les allures des cavaliers du Wora-Himano, où prévalaient la religion et les mœurs musulmanes. Cependant on espérait encore en lui. Depuis quelques mois, il tenait en personne ses plaids, présidés jusqu’alors par ses officiers, et les opprimés, les cultivateurs surtout, le trouvaient accessible à leurs plaintes. Tous ses sujets désiraient lui voir prendre en main l’exercice du pouvoir ; on le savait las de l’impérieuse tutelle de sa mère ; mais ses serviteurs les plus dévoués craignaient de le seconder dans ses tentatives d’émancipation, se rappelant que, dans des circonstances analogues, sa vigilante mère l’avait décontenancé et réduit à disgracier ses confidents.

Cet état de choses favorisait l’esprit d’indépendance des grands vassaux ; la régente avait souvent dû les réprimer par les armes ; ils étaient encore menaçants. La responsabilité de la Waïzoro s’aggravait à chaque victoire, et son impopularité augmentait à mesure que son fils approchait de l’âge d’homme. Néanmoins, malgré les rébellions, malgré les tiraillements, qui énervaient l’autorité, la prépotence acquise par la dynastie de Gouksa était telle, que la cour de Dabra-Tabor conservait son ascendant sur