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DOUZE ANS DE SÉJOUR

que le Ras est bon : où sont les effets de sa bonté ? Oubié est un bâtard, un usurpateur des droits de son frère Meurso, l’enfant légitime du Dedjadj Haïlo ; il en est de même de presque tous nos Princes, autant de coqueplumets, de goguelus, d’impudents bouchers ; ils coupent, ils rognent, ils taillent le pays et les hommes, et ils appellent ça gouverner. De temps à autre, j’éclate, je dis à tous leurs vérités ; ils s’entreregardent, rient en se reconnaissant, et l’instant d’après, retournent à leurs sottises de plus belle, en disant : « Comme cet Atskou est intéressant ! L’avez-vous entendu aujourd’hui ? » Que veux-tu, c’est inutile de s’échauffer la bile ; il faut subir le ton du pays où l’on vit. Pour le moment, il s’agit de te prémunir contre les avanies ; concilie-toi le bon vouloir du Ras, cela en imposera aux pillards. Quant à moi, je suis sans crédit, mon fils ; je te serais plutôt nuisible, puisque je représente la loi et le droit. Au commencement de ton séjour, je pouvais te servir de protecteur ; on te prenait pour un Turc ou pour quelque Égyptien sans conséquence ; aujourd’hui, l’on parle de toi autrement ; et, si quelque bandit de haut parage te voulait du mal, je ne pourrais que partager ton sort.

L’espoir de quitter Gondar avec la caravane pour l’Innarya m’avait fait négliger ces sages avis ; mes deux dernières aventures me décidèrent à les suivre, d’autant plus que, mon séjour se prolongeant, mon abstention devenait de plus en plus désobligeante pour le Ras. Le Lik Atskou, tout joyeux, résolut de m’accompagner à Dabra-Tabor, où le Ras et sa mère tenaient leur cour ; depuis quatre ou cinq ans, il s’était abstenu de leur faire la visite annuelle que tout fonctionnaire ou client doit à son seigneur.