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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

au centre de l’Empire, les incursions étrangères en rétrécissaient encore les frontières. Les paysans ne s’occupant plus que de combat ou de pillage, la culture des terres fut abandonnée ou laissée aux femmes et aux enfants ; des famines contribuèrent au dépeuplement ; les hernes, ou terres abandonnées, s’étendirent de plus en plus ; les bêtes féroces prenaient la place des habitants ; les troupeaux disparaissaient, et des bandes de soldats sans maîtres, espèces de miquelets, prêts à passer au service du plus offrant, épouvantaient le pays par leurs sauvages excès. Ce fut alors, dit-on, qu’on substitua au terme générique désignant le militaire, l’homme de guerre, le mot Wattoadder qui le désigne aujourd’hui, et dont l’étymologie signifie un homme sans feu ni lieu. On s’égorgeait aux cérémonies funéraires, aux mariages, devant les tribunaux, aux portes des églises ; le parjure et toutes les violences devinrent les moyens ; les jouissances immédiates, l’unique but ; et comme une société, si bas qu’elle soit tombée, a besoin pour vivre, de quelques vertus, au milieu de ce débordement de tous les appétits mauvais, le bien se mêlait au mal, et des éclairs d’héroïsme illuminaient fréquemment ces sinistres perspectives. La conscience publique se pervertit promptement au spectacle des accouplements de vertus et de crimes. S’il faut en croire les Éthiopiens, ils se seraient accoutumés, dès cette époque seulement, à établir avec la morale de déplorables compromis qui n’excitent plus chez eux aujourd’hui que la réprobation de quelques austères penseurs, toujours rares en tous pays.

Le clergé séculier, de son propre aveu, avait contribué puissamment, par ses erreurs et son indis-