Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.
112
DOUZE ANS DE SÉJOUR

demander leur sanction à l’autorité supérieure ; la liberté et la dignité des citoyens étant frappées dans leurs racines, la vie sociale languit et s’étiole, et la société n’échappe à l’anarchie qu’en recourant à un gouvernement centralisé, refuge qui pourra lui procurer encore de longs jours de repos, à la condition que le pouvoir suprême y soit contenu par des institutions modératrices, contrepoids nécessaires sans lesquels aucun pouvoir, quel que soit son nom ou sa forme, ne saurait prolonger sa durée. Car les formes politiques les plus naturelles, les plus propres à satisfaire les besoins et à garantir la dignité de l’homme, aboutissent bientôt à l’asservissement, pour peu que les citoyens négligent de faire respecter les droits primordiaux de la famille et ceux de la commune, ou famille civile, qui entretiennent leur respect d’eux-mêmes, le sentiment de leur propre valeur, leur expérience des hommes, leur préoccupation de la chose publique, et les sauve de cette apathie civique qui développe l’égoïsme et affaiblit le corps de la nation par des paralysies locales.

Les Éthiopiens ignorent l’existence historique des Pères Conscrits de Rome comme aussi celle d’autres corps de patriciens dont les dénominations diverses relevaient plus ou moins du mot Père, et qui ont conduit les destinées de tant de nations en Europe. Ils n’ont donc pu se laisser séduire par les théories vraies ou fausses qui s’appuyent sur ces relations de noms. Néanmoins, ils considèrent le pouvoir ou son représentant, non comme un vainqueur, comme un ennemi ayant un intérêt distinct, mais comme le résumé des intérêts de la société et la consécration politique la plus haute de la paternité.