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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

lence plus imposant encore, la fatigue, la soif, l’isolement. Ici, sur les deugas, la clochette des troupeaux, le bêlement des agneaux, des compagnies de gazelles, passant discrètes et gracieuses, ou les hennissements du cheval, rappelant l’homme de guerre ; partout l’aisance et la quiétude. Tantôt on voit dans la campagne une troupe de cavaliers aux boucliers, aux harnais étincelants, aux allures pittoresques, insouciantes ; ils ont l’air de gais et faciles compagnons et ne vivent que de rapines, lorsqu’ils ne vivent pas en courtisans inoffensifs ; ou bien, une bande de fantassins, au pied léger, qui vont pêle-mêle comme une traînée de fourmis : les scintillements de leurs hautes javelines planent au-dessus d’eux, leurs toges terreuses sont drapées en chlamides, leurs jambes sont fines et nues, leur chevelure longue, leurs boucliers noirs ; ils plaisantent, ils s’interpellent, ils rient ; leur regard avide, audacieux, recèle toutes les violences. Des femmes surviennent : ils se rangent avec bienveillance, leur disent : « Ma sœur, » et leur font des compliments au passage ; d’autres arrivent : ils les goguenardent et les dépouillent ; ils rencontrent un religieux : leur agrée-t-il ? Ils l’appellent : « Notre père, » et lui demandent de bénir leurs armes ; plus loin, ils en trouvent un autre, le toisent, le gouaillent et le dépouillent ; ils se conduisent un jour en redresseurs de torts ; le lendemain, sans provocation, ils feront le sac d’un village ; natures aventurières avant tout, un mot les excite, une bonne parole les concilie. Ailleurs, apparaît à mule, une femme tout enveloppée de sa toge : on ne voit d’elle que ses grands et beaux yeux ; des suivants à pied l’entourent et pressent la marche, tant ils craignent la rencontre