Page:Abbadie - Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie.djvu/112

Cette page a été validée par deux contributeurs.
104
DOUZE ANS DE SÉJOUR

les hilarodes, les bardes, tous ceux enfin adonnés au gai savoir, et ce nom est regardé comme injurieux et diffamatoire ; ils ne l’appliquent pas au poète auteur ou chanteur de poésies religieuses, composées presque toujours en guez ou langue sacrée, à celui qui exécute des danses religieuses, au soldat coryphée, qui chante exclusivement des chants de guerre, et à ceux qui, aux funérailles, chantent ou composent des thrénodies. On remarque que les trouvères natifs du Waïna-Deuga font de préférence des couplets et distiques gnomiques ou épigrammatiques, des priapées, des facéties, des farces et des compliments ; ceux des kouallas et des deugas chantent ordinairement le mieux la guerre, la vie agreste, les faits héroïques et les funérailles ; les premiers passent pour savoir le mieux chanter l’amour, les seconds ont la réputation de savoir aimer le mieux et d’être moins ingénieux à le dire.

Les familles des deugas et des kouallas s’allient très-souvent entre elles ; il leur paraît sage d’appuyer à la fois la prospérité d’une maison sur les chances de fortune qu’offrent les hautes et les basses contrées. Malgré ces relations intimes, par l’effet sans doute de cette tendance qu’ont les hommes à critiquer tout ce qui les différencie, l’habitant des deugas a converti en épithète injurieuse le mot désignant l’habitant des kouallas, celui-ci lui riposte par une épithète analogue, et l’un et l’autre s’y montrent on ne peut plus sensibles. Sous ce rapport, l’homme du Waïna-Deuga se regarde comme le plus heureusement né, et il raille le natif du koualla aussi bien que celui du deuga, celui-ci, de ce qu’il est né trop haut, celui-là, de ce qu’il est né trop bas. Cependant, quoique sa bouche