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même, et je me bouche les deux oreilles. Voulez-vous m’accréditer, comme votre ami et compagnon, auprès de l’homme d’armes Jeannin !

Frère Bruno hésita un instant.

Après tout, pensa-t-il tout haut (car penser tout bas, c’est perdre une bonne occasion de jouer de la langue), il ne peut en arriver de mal à mon ami Jeannin. Et d’ici que M. le Dauphin futur et M<supme Anne de Bretagne, sa femme, qui est à naître, arrivent à l’âge de raison, il coulera bien de l’eau sous le pont de la Sée… Je veux bien, mon compère.

— Et que demandez-vous pour prix de ce service ?

— Je demande que, si faire se peut, on mette ma cellule au rez-de-chaussée. En bas, on trouve plus de monde à qui parler, et quoique je sois naturellement taciturne…

— Vous aurez une cellule au rez-de-chaussée.

— Oui-da ? c’est pourtant plus difficile que de créer un chevalier : elles sont toutes prises.

Maître Olivier le Dain y pourvoira, je vous le promets.

— Voilà donc qui est entendu. Maintenant, regardez-moi bien en face, mon compère Gillot, de Tours en Tourne ! Ce que je vais vous dire est pour votre salut. Allez vers mon ami Jeannin, puisque c’est votre envie, mais souvenez-vous de ne lui rien demander qui soit contre le devoir d’un chrétien ou l’honneur d’un Breton, car il vous casserait les deux bras, les deux jambes et la tête. Tenez, je vous prête mon rosaire. Il le connaît bien par mon saint patron ! Vous le lui montrerez, et vous lui direz « Je viens de la part du vieux Bruno, qui conte de si bonnes aventures. »

— Je n’y manquerai pas, répliqua Gillot, en recevant le rosaire à grains d’ébène ; grand merci, mon cher frère, et au revoir !

— Au revoir !

Gillot se dirigea vers la porte et sortit.

— Holà ! s’écria Bruno en le rappelant ; revenez donc çà un petit peu, mon compère, j’ai oublié la date de l’histoire du chien, du joueur de flageolet du cousin de la dame du ministre du roi Philippe de Macédoine…