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bœufs de labour et les chevaux de trait ; Goton tenait la lingerie. On les regardait comme deux époux modèles il y avait quarante ans qu’ils se battaient avec fidélité en s’aimant de même.

Venaient ensuite Pelo le bouvier-engraisseur, Mathelin, le pasteur des gorets, et la petite Jouanne qui gardait les oies à la mare.

Puis Josille le bûcheron, puis Bertrade la grosse trayeuse, puis maître Andoux le reboutoux (Rebouteur, chirurgien villageois.)

Maître Andoux soignait d’un zèle pareil les chrétiens et les bêtes.

— À tout coup[1] ! dit Josille, si c’est qu’on l’a vu, bien vu, vraiment vu, v’la qu’est drôle, ma foi jurée ! Quoique tout ce qu’on dit ne sont point paroles d’Évangile !…

— Boute-mâ un p’tit d’galette, Mathelin, cria Bertrade ; et quant à c’qu’est d’ça qu’on l’a vu, qui qui l’a vu ?

— Qui qui l’a vu ? répéta Josille de cet air qu’on prend pour faire une réponse péremtoirc et foudroyer l’incrédulité ; à tout coup, la Bertrade, ah ! dame, je ne sais point qui qui l’a vu, mais sûr et certain, on l’a vu, aussi vrai que t’as un petit-z-yeu et un grand-z-yeu… que ton petit ergardc à Dol, et que ton grand, ergarde à Plédihen… Bédame !

Cette plaisanterie était du calibre voulu pour faire rire l’assistance. Bertrade, qui louchait, répliqua rondement :

— Oh ! là, là, mon Dieu donc, José, mon pauv’gars ! Quand c’est que j’ergardais tout dret d’vant mé, j’veyais toujou ta goule…[2] et doucettement, pour ne plus l’voir, ton bec, qu’est d’traviole, j’mai habituée à ergarder gauchâ !

— Mon doux Jésus sauveur ; s’écria la vieille Goton ; v’là comme les filles parlent més’hui hayen ! hayen ! t’es t’une défrontée, la Bertrade !

  1. À tout coup est une redondance bretonne, une sorte de verumenimvero armoricain. Un vrai bon gars de la haute Bretagne ne dit pas trois paroles sans lâcher : à tout coup, qui se prononce at’ coup.
  2. Ta gueule, ta figure.