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— Eh bien ! monsieur de Comminges, notre beau cousin de Bretagne est-il content de nous ?

Il paraît que ce Comminges s’était rendu auprès du duc François pour lui offrir, de la part du roi, le cordon du nouvel ordre de Saint-Michel.

— Par mon patron ! s’écria Jeannin, j’ai entendu parler des statuts de ce nouvel ordre et du serment des chevaliers. Si notre seigneur le duc a accepté, autant valait faire hommage-lige pour le duché de Bretagne, et se reconnaître sujet du roi.

— C’était bien ce que le roi voulait dit le chapelain Sidoine.

Il y avait, à cette époque, en Bretagne, dans toutes les classes sociales, une si profonde horreur de la domination française, que chacun, autour de la table, se sentit le cœur serré comme à la dernière passe d’une partie décisive.

— Si le roi voulait cela, continua Fier-à-Bras, le roi avait compté sans son beau cousin, car voici ce que Comminges lui a répondu :

— Sire, le duc François rend grâce à Votre Majesté, mais il ne peut accepter l’honneur que votre bonne affection lui destinait.

À cette nouvelle le roi est devenu vert, mais vert ! Puis il a souri tout doucement. Puis encore il a baisé avec bien de la dévotion sa grosse image de Saint-Michel.

Frère Étienne m’a glissé à l’oreille :

— J’aime mieux être dans mes chausses que dans celles du duc François, Tranche-Montagne !

Je vous ai déjà dit qu’il avait l’habitude de m’appeler Tranche-Montagne ; comme je descendais la rampe pour m’en retourner, j’ai entendu les hommes d’armes qui disaient qu’on donnerait mille écus d’or à l’Homme de Fer pour qu’il jette un maléfice à François de Bretagne.

Le nain se tut. Un assez long silence se fit.

— Nous vivons dans un temps de malheur, dit Mme Reine ; que peut faire une pauvre femme qui n’a plus d’époux ?

Il y avait des larmes dans ses yeux. C’était le souvenir de l’homme véritablement aimé qu’elle avait perdu.