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Seulement la pauvre Jeannine n’en pouvait mais. Il faut être juste envers chacun. Avoir seize ans n’est pas non plus un crime.

Ces mères veuves, à qui la mort a imposé la plus sérieuse de toutes les responsabilités, dépassent le but parfois. Jeannine n’était pas cause d’être belle.

Ce que Mme Reine avait deviné par la puissance de sa seconde vue maternelle, Jeannine n’en savait trop rien. Messire Aubry ne s’en doutait guère non plus.

Et Jeannin, ce bon Jeannin, le plus innocent de tous, et le plus malmené par Mme Reine, Jeannin fût tombé de son haut si on lui en avait dit seulement le premier mot !

Le vrai, c’est que les mères sont sorcières !

Cette fois, messire Aubry, notre jeune gentilhomme, se disait en prenant du champ :

— Scélérat d’Anglais ! tu vas voir si je te manque !

Le sourire moqueur da Jeannine ! chose terrible ! et l’effroi humiliant de Mme Reine ! Le traitait-on assez comme un enfant ! On avait peur pour lui du bâton du mannequin !

C’est la main gauche qui a fait des siennes, messire Aubry, dit Jeannin avec douceur ; il ne faut jamais serrer la bride au dernier moment. Si Mme Berthe de Maurever, votre noble cousine, vient au manoir, comme on le dit, elle voudra voir votre adresse…

Ah ! par exemple ! s’écria Aubry, je m’embarrasse bien de mademoiselle Berthe de Maurever !

Jeannin sourit malignement.

C’était donc le soleil qui vous faisait rougir l’autre matin, quand nous passions sous ses balcons, en la ville de Dol, messire Aubry ?

Bon Jeannin ! ce n’était pas le soleil, non. Mais vis-à-vis de l’hôtel habité par messire Morin de Maurever et sa fille Berthe, il y avait une boutique de mercière, tenue par dame Fanchon le Priol. Dame Fanchon le Priol était la grand’mère de Jeannine, qui allait la voir de temps en temps. Ce jour-là, Jeannine avait été voir dame Fanchon le Priol, et Aubry