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— Vous vous trompez, noble dame, dit-il avec respect ; c’est bien pour mon plaisir que je suis à cheval auprès du fils de mon maître !

Il salua une seconde fois et rejoignit l’adolescent qui était déjà loin.

Madame Reine était toute pensive.

Reine de Maurever, veuve de messire Aubry de Kergariou, chevalier, seigneur du Roz, de l’Aumône et de Saint-Jean des Grèves, n’était point une tête légère tournant à tous vents et ne pouvant donner aux petits mystères de sa conduite d’autre explication que sa fantaisie. C’était un excellent et digne cœur. Elle avait été le modèle des épouses ; elle était la meilleure des mères.

Dix-huit ans auparavant, au temps où le duc François de Bretagne expiait par la mort ; le meurtre de son frère Gilles, Reine de Maurever avait au front tout ce que la poésie et la beauté peuvent mettre de couronnes. La jeunesse de Reine avait été un roman hardi et pieux ; son père et son fiancé, proscrits tous deux, lui avaient dû tous deux leur salut. Elle allait, dans ce temps, aimante et bien-aimée, du cachot où languissait son fiancé au rocher désert où le vieux chevalier Hue de Maurever avait faim. Les bonnes gens du mont, la voyant seule contre tous braver la mer, les sables mouvants des tangues et les hommes d’armes qui faisaient la chasse humaine avec des lévriers cruels, les bonnes gens disaient qu’elle glissait, la nuit, sur un rayon de lune, comme la Fée des Grèves, dont ils lui avaient donné le nom.

Reine avait alors seize ans, elle était plus vaillante encore que jolie.

Plus tard, elle devint dame de Kergariou, et quel charme nouveau lui apporta le sourire des jeunes mères !

Maintenant, le fils de Reine porte la lance. Reine est jeune encore ; elle est toujours jolie, et cette neige légère qui couronne son front sans rides adoucit l’azur foncé de ses yeux. Est-ce bien cependant la Reine d’autrefois ?

On dit que dans les pays du soleil certains arbres portent