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Mme  Reine, Berthe de Maurever et sa tante, messire Aubry s’y trouvaient avec des dames et des chevaliers de France. De toutes les parties de la plaine, bien des regards se tournaient vers ce point lumineux où l’or et le fer renvoyaient en gerbeles étincelantes les rayons du soleil.

Mais nous ne nous trompons point, voici, dans la prairie, un froc proprement décapuchonné qui s’en va de ci de là, semant des boisseaux de paroles sur son passage.

C’est le digne père Bruno la Bavette, qui est là par permission spéciale du prieur des moines et qui ne perd pas son temps.

Il apprend à chacun la nouvelle, la grande nouvelle qu’il tient du compère Gillot, de Tours en Touraine à savoir que M. Charles de France, qui n’est pas encore né, va épouser Mme Anne de Bretagne, qui naîtra peut-être.

Chacun riait au nez du brave frère, mais il ne se déconcertait point, et livrait gratis le secret d’État à tout le monde. Il allait dans la foule, cherchant le petit Jeannin, pour savoir le résultat de la visite du compère Gillot et où en était l’importante négociation.

— Bonjour, Monique, disait-il à la volée ; j’ai connu ta mère du temps qu’elle gardait les ânons… Bonjour, encore ? Eh ! eh ! Mathieu Boudin, vieux loup ; trouves-tu toujours ce qui n’est pas perdu ? Viens ça, Tiennet, mon homme, que je t’apprenne la chose. Tu ne la diras pas ? Monsieur Charles de France fils aîné du roi Louis onzième, va prendre pour femme la jeune fille du duc François…

Bien jeune, en effet !

Jeannin, lui, allait à l’écart, poursuivant la solitude introuvable, et courbé sous le poids trop lourd des pensées qui emplissaient son cerveau. Ce qui lui revenait toujours, c’étaient les dernières paroles de M. Hue à l’agonie. L’heure annoncée, l’heure suprême avait-elle sonné pour l’indépendance de la Bretagne ?

Jeannin se noyait dans son effort. Son intelligence s’émoussait contre le problème insoluble. Il ne voyait rien de ce qui se