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l’autre ce mystérieux ruban qui portait, écrit en lettres de perles À la plus belle ! je vous le dis, vous auriez été sérieusement embarrassé.

C’était la même jeunesse chez toutes deux, la même jeunesse riche et fleurie ; c’était une grâce pareille.

Jeannine perdait bien un peu de ses avantages à n’être plus l’espiègle et vive enfant que nous avons vue naguère à la fenêtre du Roz, pendant que messire Aubry s’escrimait si malheureusement contre la quintaine. Mais la tristesse rêveuse qui la tenait depuis quinze jours, mettait à son front ce grain de poésie qui peut-être lui manquait autrefois.

Quant à Berthe, la poésie débordait en elle. Elle avait le cœur sur le visage : un cœur tendre et beau.

Berthe avait perdu sa mère alors qu’elle était encore tout enfant. C’était Mme  Reine qui l’avait élevée. Ses premiers ans s’étaient passés au manoir du Roz, entre Jeannine et Aubry. Elle aimait Aubry son fiancé, et c’était une de ces affections qui ne cèdent ni au temps ni à l’absence. Elle se croyait aimée. Tout le monde semblait s’être donné le mot pour affermir cette croyance. Selon l’opinion commune, messire Aubry poussait la tendresse qu’il lui portait jusqu’au culte, et devenait muet devant elle, tant il était profondément épris !

Il y avait quatre ou cinq ans que Berthe avait quitté la manoir du Roz pour habiter la maison de son père. C’était une maison triste et un peu abandonnée, car le sire de Maurever n’y faisait que de très brefs séjours. Il suivait la cour de François II de Bretagne. Sa sœur aînée, dame Josèphe de la Croix-Maudit, veuve d’un gentilhomme normand, était surintendante à son lieu et place : une vieille et discrète personne, droite comme un I, maigre comme un clou, un peu revêche, très sourde et n’aimant point ce qui fait dépenser de l’argent.

Berthe était libre car dame Josèphe ne savait rien lui refuser, mais elle n’avait pas d’amies de son âge et de sa condition. Or, il lui fallait, de nécessité, quelqu’un à aimer. Bien que Jeannine ne fût pas la fille d’un gentilhomme, Berthe la traitait en tout comme son égale et son amie.