Elle était si charmante que sa tristesse ne put tenir. Un éclair de naïf orgueil s’alluma dans ses beaux yeux.
— Oui, ma fille, dit-elle, mes tresses me conviennent. Mais tu parlais de Jeannine tout, à l’heure, pourquoi ne me vient-elle plus visiter ?
— Oh ! quant à cela, sur ma foi, je n’en sais rien répliqua Javotte ; je ne m’occupe pas beaucoup de ce petit monde. Mais que je vous raconte donc quelque chose qui va bien vous divertir : une histoire de l’Ogre des Îles
Javottc qui s’était éloignée pour voir a distance l’effet de la coiffure, ne s’aperçut point qu’un tremblement faible agita tout à coup les paupières de sa jeune maîLresse, pendant qu’une nuance de pâleur plus mate remontait à son front. S’en fut-elle aperçue, que rien ne lui eût semble plus naturel, car il suffisait de prononcer le nom terrible du comte Otto Béringhem, l’Homme de Fer, pour faire pâlir et trembler les jeunes filles.
C’était le grand épouvantail des côtes normandes et bretonnes. Le peu de mots que nous en avons dit dans les premiers chapitres de cette histoire, l’ont montré déjà sous ce jour fantastique et mystérieux qui grandit héros et coquins au-dessus de la taille humaine.
Mais nous n’avons pu dire l’innombrable quantité de versions, changeant de lieue en lieue, le long de la côte, qui prêtaient cent figures diverses au même personnage, et le chargeaient d’un fardeau de péchés que n’eussent pu porter cent larges consciences de réprouvés.
Le fond de tout cela était manifestement une réminiscence des horreurs idiotes et sauvages, révélées par les récents procès du maréchal de Raiz. L’esprit public avait été violemment frappé. On voyait partout des crimes contre nature, des mirades que la science des alchimistes promettait toujours pour ne les produire jamais.
Chaque forêt était alors peuplée d’esprits malfaisants. Le plus clair taillis avait son petit diable qui égratignait les passants, lorsque sa faiblesse ne lui permettait point de leur tordre le cou.