— Si vous comprenez, poursuivit le roi, qui vous retient d’entrer dans cette noble entreprise ? Je sais que vous avez accès auprès des plus puissants parmi ceux qui entourent le duc… auprès du duc lui-même. Et cependant vous êtes simplement homme d’armes au service d’une femme ! Moi, je vous ferai plus grand que les orgueilleux qui vous dédaignent. On me connaît ; on sait que j’attache peu de prix au hasard de la naissance…
… Qui t’a fait roi, pourtant ! pensa le nain dans son trou.
— Vaines choses, poursuivait Louis, vaines choses, ami Jeannin, que ces privilèges gagnés au sort ! Vaine chose aussi que l’aveugle fidélité du vassal !
— Sire, je ne vous comprends plus, dit Jeannin bonnement.
— Qu’est-ce que c’est, en définitive, que cette prétendue vertu qui consiste à tendre les dents au mors, le cou à la bride, les flancs à l’éperon ? Ce dévouerent de bête de somme a-t-il un nom ?
— C’est l’honneur, sire.
— Et qu’est-ce que c’est que l’honneur ? demanda le roi.
— Je ne le sais pas, sire, répondit Jeannin, mais je le sens.
Le soleil descendait à l’horizon quand Pierre Gillot quitta son siège.
Il y avait sur son visage, ridé avant le temps, du dépit et de la tristesse.
— Maître Jeannin, dit-il, on ne m’avait pas trompé, vous êtes un digne homme. Mais je me suis trompé moi-même en pensant qu’un fils du peuple entendrait celui qui parle au nom du peuple. Les temps ne sont pas venus. L’épée vaudra mieux que la parole pendant des siècles encore. Cela ne m’empêchera pas d’employer ma vie tout entière à briser les clôtures et à raser les haies qui déshonorent le beau et vaste champ de mon royal héritage. Puisque vous ne voulez pas travailler à ma vigne, adieu, maître Jeannin.
— Adieu, sire.
Jeannin le reconduisit, tête nue, jusqu’au seuil du manoir.