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ture de la veille ; je mangeais distraitement, sans m’apercevoir que je buvais peut-être un peu trop de ce Saint-Georges que tu connais et qui me monte si facilement à la tête. Moi qui, d’ordinaire, ne suis jamais pressée de rentrer le soir, en pareille circonstance, prétextant une migraine, je demandai, une heure après qu’on se fût levé de table, à rentrer à la maison.

Thérèse m’attendait dans ma chambre, mais elle était si profondément endormie sur un fauteuil, qu’elle n’entendit pas la voiture entrer dans la cour, ni le bruit que je fis en ouvrant la porte. Je restai un instant à la contempler ; qu’elle était jolie, en toilette de nuit, enveloppée dans une robe de chambre mauve à moi, bien capitonnée, la tête renversée sur le dossier de la chauffeuse, le cou tendu, bien charnu, la gorge saillante, les lèvres entr’ouvertes. Je ne pus m’empêcher de lui donner un baiser sur la bouche, avec un petit bout de langue que j’agitai tout doucement… Elle se laissa faire un instant, sans se réveiller, et son visage prit une expression d’exquise béatitude. Puis elle ouvrit les yeux et resta un instant ahurie ; revenue à elle, elle fut aussitôt debout : « Vous, madame, déjà ?… Quelle heure est-il donc ?… Je rêvais… »

— Et à quoi, ou à qui, mademoiselle ?…

— Pouvez-vous le demander ?… À vous, à nos folies de la nuit dernière… Y avait-il beaucoup de monde à ce dîner ?… Vous êtes-vous bien amusée ?… On vous a bien fait la cour ?… bien sûr, vous étiez la plus jolie !…

— Oh ! non il y avait là la baronne Paville qui, avec ses trente-sept ou trente-huit ans, est encore vraiment admirable… On dit qu’elle n’aime que les femmes…

— Oui, je sais… elle a cette réputation : prenez garde à vous…

— Folle !… Il y avait aussi sa fille Léa, qui fait son entrée dans le monde : elle est merveilleusement jolie et

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