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XII

Paris, 15 février 18…

Cher Léo, au début de cette lettre, ma plume hésite à commencer le récit d’une aventure qui prend à mes yeux les proportions d’une faute.

Je sais bien que le pardon m’a été accordé d’avance, et que personne n’a rien à me reprocher : « Mon mari seul, me dis-je, aurait le droit de se plaindre, et c’est lui, au contraire, qui m’a engagée dans la voie où je suis actuellement et je ne fais qu’obéir à ses conseils… »

Mais, malgré tous mes raisonnements, je ne me sens pas complètement rassurée ; j’ai peur d’être allée trop loin et d’avoir dépassé le but. Cette fois, ce n’est pas seulement mon corps qui a été en jeu, mais c’est aussi mon cœur, ou au moins une parcelle de ce cœur que j’ai donnée à un autre que toi, tandis que j’aurais dû, pour rester fidèle à nos conventions, te le garder intact.

Mon roman d’hier ne ressemble aucunement à tes folles escapades, cher mari au cœur fidèle et aux sens volages… Chez toi, c’est l’homme, le mâle, qui donne libre cours à ses appétits, et boit sans vergogne, à la première coupe de volupté qui se trouve à portée de ses lèvres. Mais moi, je suis une femme, c’est-à-dire un être fragile, fait d’éléments divers, et je me suis donnée (et non prêtée, comme tu le fais), je me suis livrée corps et âme aux baisers d’un étranger, d’un inconnu, et cet amour nouveau a pris sur moi un étrange empire…

Le mal est récent, la blessure est encore toute fraîche, mais je garderai pour jamais, je le crains, le souvenir de sa douce morsure.

Ma conscience se trouvera peut-être soulagée par l’aveu sincère de mon erreur, mais je ne sais si j’aurai la force de

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