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ASSEMBLEE NATIONALE - 1ère SEANCE DU 16 JUILLET 1953

renseignant ainsi nos partenaires étrangers sur les véritables sentiments du peuple français.

Il n’est pas loyal d’obtenir par surprise ou par ruse, ou par habileté, comme certain récent chef du Gouvernement se vantait de le faire, ce que le pays ne veut pas ; car le pays ne veut pas ce qu’on a tenté de lui imposer par une propagande de presse et de radio inadmissible en République et en démocratie. Il ne veut même pas ce que la majorité parlementaire a accepté par lassitude et du bout des lèvres.

Ce divorce flagrant entre la nation et la politique qu’on prétend la sienne est la source de notre apparente inconstance.

Encore une fois, le mois prochain, les fabricants de l’Europe des Six vont se réunir, prendre des décisions sur une communauté politique qui ne sera que l’œuvre de leur conception personnelle et d’une éminence grise, traducteur d’intolérables injonctions venues d’outre-Atlantique.

La politique américaine, depuis la mort du président Roosevelt, a été une suite d’erreurs et d’échecs. C’est elle qui nous a imposé des obligations entraînant, pour notre budget, des charges écrasantes dont le maintien risque de nous conduire à la faillite. C’est elle qui nous a paralysés dans notre évolution économique normale et notre expansion dans nos terres d’outremer.

Il serait temps, au lieu de solliciter, pour nous aider dans l’effort auquel elle nous a contraints, un concours financier accordé sous condition, de faire librement une politique d’inspiration française.

La seule demande que nous pouvions faire aux Etats-Unis, car nous ne pouvions les trouver chez nous, était de nous céder des sous-produits issus de la fabrication des bombes atomiques, qui s’entassent au fond des eaux et dont quelques caisses nous suffiraient pour installer, à la frontière séparant la Chine du Tonkin, un barrage radioactif. Ce barrage, isolant l’Indochine de tout concours extérieur, permettrait d’en terminer avec une guerre atroce et qui ne pourra jamais finir si ce territoire est un tonneau des Danaïdes.

Les hommages rendus à cette tribune à la bravoure de notre armée ne sont pas l’aide qu’elle attend de nous.

Ce n’est certes pas la remercier des sacrifices qu’elle consent avec tant de modestie, que n’en pas tirer enseignement.

M. le président. Monsieur Aumeran, quel est l’objet de votre intervention ?

M. Adolphe Aumeran. Il est de demander que ce débat de politique extérieure s’institue avant le départ en vacances de l’Assemblée.

M. le président. Le règlement ne me permet pas de recevoir cette demande au cours de la discussion des propositions de la conférence des présidents. Je devrais même vous retirer la parole.

M. Adolphe Aumeran. Je le sais, monsieur le président.

Nos conceptions actuelles, dont l’épanouissement se trouve dans la « géniale » armée européenne, sont une fois de plus en retard d’une guerre.

Beaucoup trop d’orgueil et beaucoup trop d’humilité ont entraîné la France sur le chemin du reniement d’elle-même, alors qu’elle prétendait prendre la tête de l’Europe.

Elle aurait pu, ferme sur ses bases, son unité refaite, attirer par son rayonnement, sa solidité et son exemple, les peuples européens alliés d’hier et du passé.

Rassemblés en une coopération respectueuse des traditions et des aspirations nationales, ils auraient pu proposer des solutions raisonnables au problème allemand, source constante d’inquiétudes.

M. le président. Monsieur Aumeran, vous avez dépassé votre temps de parole.

M. Adolphe Aumeran. Je vais terminer, monsieur le président. Il ne me reste plus que quelques mots à dire.

M. le président. Je vous demande de conclure.

M. Adolphe Aumeran. Voilà bientôt quinze mois que j’ai déposé mon interpellation, monsieur le président. Je vous demande de m’accorder deux minutes encore qui me suffiront pour terminer mon exposé.

M. le président. Monsieur Aumeran, l’article 34 du règlement vous interdit tout exposé de ce genre. Vous ne pouvez demander l’inscription d’une interpellation à l’ordre du jour, au cours de la discussion des propositions de la conférence des présidents.

M. Adolphe Aumeran. Je vous répète, monsieur le président, que ma demande d’interpellation a été déposée voilà quinze mois.

Je vous demande de me laisser terminer.

M. le président. Je répète que votre temps de parole est épuisé.

M. Adolphe Aumeran. La redoutable réunification allemande ne s’opérera pas sous le signe européen, mais sous le signe national. Ce serait un crime contre la nation, un crime contre nos enfants, si dans le temps où elle se réalise, des armes étaient données aux Allemands. Je me suis trop battu contre l’asservissement pour, aujourd’hui, n’en pas dénoncer les prémices.

Ceux qui, envers et contre tout, ont pour devise : « Nous avons choisi l’Europe » ont choisi les mêmes abandons et les mêmes sacrifices qui nous ont été demandés en 1940, car, économiquement, géographiquement, socialement, démographiquement, la situation est la même. Ceux de 1940 avaient l’excuse de la contrainte imposée par la défaite.

Pour nous, nous avons, une fois de plus, choisi la France, la France et tous les peuples qu’elle a groupés autour d’elle, dont elle n’assure plus maintenant ni la protection, ni l’évolution économique et sociale, parce que, précisément, ceux qui la dirigent sont plus Européens que Français.

M. le président. Monsieur Aumeran, je vais vous retirer la parole.

M. Adolphe Aumeran. Tout se tient, on ne peut abandonner ici sa souveraineté tout en la réclamant là.

On ne peut s’acharner à regrouper, unifier, faire disparaître les nationalités en Europe, tandis qu’au dehors du continent on divise, on sépare, on nationalise.

La France peut faire l’œuvre immense à laquelle on la convie, mais elle ne peut la faire qu’en tant que France.

Dès que ses représentants auront surmonté leurs passions politiques et retrouvé leur sens national, elle aura la possibilité, s’étant alors égalée aux Etats-Unis et à l’Angleterre, non de subir, mais d’être écoutée. (Applaudissements sur quelques bancs à l’extrême droite.)

M. le président. Je rappelle à M. Aumeran qu’il a enfreint les prescriptions réglementaires.

Je suis obligé de le lui dire publiquement. Je le regrette, car il sait l’amitié que j’ai personnellement pour lui.

M. Adolphe Aumeran. Monsieur le président, j’ai sur la conscience, je vous l’assure, cette irrégularité et ce manquement à la discipline, mais j’ai beaucoup plus sur la conscience le grave problème de notre politique extérieure. En effet, il y a seize mois que nous n’avons pas eu de débat sur cette question extrêmement importante et je ne pouvais pas attendre plus longtemps pour en parler. (Applaudissements à l’extrême droite.)

M. le président. La parole est à M. de Saivre.

M. Roger de Saivre. Mesdames, messieurs, j’ai déposé pendant la crise historique qui vient de se terminer…

M. Pierre Métayer. Il ne faut rien exagérer.

M. Roger de Saivre. ..une demande d’interpellation sur les scandales d’Indochine.

Je regrette que, depuis trois semaines, la conférence des présidents ne nous ait pas permis de nous expliquer une bonne fois sur la question.

Je sais que, dernièrement, l’Assemblée m’a donné un commencement de satisfaction en créant cette commission dite « des piastres ». Je forme le seul vœu que nos collègues qui sont chargés d’enquêter n’aillent pas, par de trop longs discours, se noyer dans la rizière et que cette commission d’enquête ne connaisse pas le sort de celles qui l’ont précédée.

Mais il y a, mes chers collègues, autre chose que l’affaire des piastres. Au mois de mars de l’année dernière, une sous-commission composée de membres de la commission des finances et de la commission de la défense nationale a été chargée d’enquêter sur l’emploi des fonds de la défense nationale. C’est M. Pineau qui en est le président.