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ASSEMBLEE NATIONALE - 1ère SEANCE DU 16 JUILLET 1953

M. Abdelkader Cadi a manifesté son émotion et sa crainte de voir instaurer un régime discriminatoire entre les Algériens et les autres citoyens. Je pense l’avoir convaincu qu’il n’en est rien, qu’il n’en a jamais rien été, que le ministre de l’intérieur, en tout cas, ne le veut pas. Si les problèmes se posent pour les uns et pour les autres parfois de façon légèrement différente — ce sont souvent des cas d’espèce, parfois des problèmes de groupe — les uns et les autres sont, je le dis à tous nos collègues d’Algérie pour qu’ils le répètent autour d’eux, les fils d’une même patrie réunis dans leur grande majorité autour de la France qui les aime d’un égal amour. (Applaudissements sur certains bancs à gauche, au centre, à droite et à l’extrême droite.)

M. le président. La parole est à M. Cogniot, pour répondre au Gouvernement.

M. Georges Cogniot. Mesdames, messieurs, je voudrais, en une matière aussi grave, faire appel à tous les hommes de sens droit et de cœur humain, de cœur généreux. Je le ferai ex quelques brèves paroles.

Je voudrais que tous ces hommes de sens droit dont je parle pèsent bien la valeur des explications et des arguments qui ont été apportés par le ministre de l’intérieur et qu’ils se demandent en conscience si ce que celui-ci a exposé longuement peut rendre compte du meurtre de sept manifestants mardi, place de la Nation. (Applaudissements à l’extrême gauche.) C’est la seule chose que je voudrais que chacun de vous posât dans sa conscience à l’instant du vote et je voudrais que la conclusion en fût qu’il n’est pas possible de clore un tel débat dans une telle matière après de telles explications que chacun de vous est obligé de reconnaître si faibles et si inconsistantes.

C’est à nos adversaires que je m’adresse. Comment pourraient-ils admettre que ce fût un seul panneau portant l’indication « À bas le racisme policier » qui pût justifier un tel crime ? Est-ce qu’une pancarte peut être une raison pour tuer des gens, mes chers collègues ? (Applaudissements à l’extrême gauche.)

Est-ce que nous n’avons pas souffert en entendant des expressions racistes dans la bouche du ministre de l’intérieur lors qu’il parlait des blancs ? Est-ce qu’il ne sait pas que les Algériens appartiennent à la race blanche ? Et s’ils n’étaient pas des blancs, ces Algériens, s’ils étaient des noirs, il n’y aurait pas de déshonneur pour eux. Serait-ce une raison pour que la police se comportât avec eux comme elle l’a fait ? (Applaudissements à l’extrême gauche.)

Le ministre nous a dit que le quatrième ou le cinquième rang des groupes d’Algériens n’avait pas obéi à l’ordre de dispersion donné aux dirigeants de ce groupe. Peut-être ont-ils dépassé de deux mètres, de trois mètres, de cinq mètres, l’alignement de la colonne du Trône. Le ministre de l’intérieur le dit, je l’admets.

Voyons ! Quand bien même auraient-ils dépassé de cinq mètres et sous la pluie battante qui tombait à ce moment, l’alignement de la colonne du Trône, cela était-il de nature à menacer le régime et la forme de l’État ? Quand bien même auraient-ils avancé de vingt mètres, de trente mètres en direction du château et du bois de Vincennes alors que ces emplacements étaient entièrement vides en raison de la pluie, — était-ce une raison pour que la police se comportât comme elle le fit ? Était-ce parce que des yeux brillaient menaçant comme des mitraillettes qu’il fallait faire parler les revolvers ?

Le ministre dit que ce sont les communistes ou des nationalistes qui portent la responsabilité de l’afflux des Algériens en France,

Sur plusieurs bancs à droite et à l’extrême droite. Parfaitement !

M. Georges Cogniot. Ce n’est pas nous qui avons besoin de créer toutes les tortures et tous les martyrs du régime capitaliste. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

Sur plusieurs bancs au centre, à droite et à l’extrême droite. Béria ! Béria !

M. Georges Cogniot. Je vous supplie de considérer en votre conscience et de peser les arguments qui ont été apportés à cette tribune ainsi que la gravité des faits et de vous décider en conséquence. Je suis sur que si les députés présents se prononcent en considérant le seul fait qui reste, le seul fait certain, à savoir qu’il y a eu des tués et que ces tués sont tous du côté des manifestants, ils ne pourront pas accepter en conscience le renvoi à la suite des interpellations. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

M. Jean Pronteau. Nous demandons le scrutin.

M. le président. Le Gouvernement l’a demandé,

La parole est à M. d’Astier de la Vigerie.

M. Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Je ne voudrais ajouter qu’un mot à ce qu’a dit M. Cogniot.

En effet, il y avait des pancartes condamnant le racisme policier. En France, il y a, hélas ! du racisme partout, Nous ne disons pas que toute la police est forcément raciste, mais nous constatons, notamment parmi les chefs policiers, qu’il y a du racisme. Nous le constatons d’autant mieux qu’un propos tenu par un ministre de l’intérieur français nous paraît singulièrement frappé de racisme : dire que les Algériens viennent en France attirés par l’appât du gain nous paraît un propos raciste. (Rires sur certains bancs à gauche, au centre, à droite et à l’extrême droite. — Applaudissements à l’extrême gauche.)

Quand un homme qui cherche un salaire ne peut pas trouver ce salaire dans son propre pays pour des raisons bien étrangères aux Algériens mêmes — elles intéressent les Français et le Gouvernement français — et que cet homme vient essayer de trouver son salaire sur le sol français, on ne peut dire que cela s’appelle l’appât du gain.

Monsieur Martinaud-Déplat, je ne dis pas que vous êtes avocat par appât du gain ! (Interruptions sur divers bancs.)

Vous avez déclaré, d’autre part, que des manifestants avaient voulu dépasser les colonnes du Trône. (Rires et exclamations sur certains bancs à gauche, au centre, à droite et à l’extrême droite.)

Je trouve assez triste que dans un débat où il s’agit de sept morts, certains aient le courage de rire. (Applaudissements à l’extrême gauche.)

Je voulais parler des colonnes qui sont placées à l’entrée de l’avenue du Trône, en bordure même de la place de la Nation. Ne valait-il pas mieux admettre qu’elles soient dépassées, que le dégagement se produise encore sur cinquante ou sur cent mètres plutôt que de sacrifier sept vies humaines au maintien d’un principe ?

Il est, enfin un troisième point sur lequel vous n’avez pas répondu, monsieur le ministre, et qui me paraît important.

IL y a une loi française. Cette loi est très simple. La police française est armée, à la différence, par exemple, de la police anglaise qui ne l’est pas.

M. Charles Viatte. Et les chars russes à Berlin ?

M. Emmamuel d’Astier de la Vigerie. Je suis heureux de cette interruption.

Vous évoquez les incidents de Berlin.

À droite. Oui !

M. Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Je voudrais bien voir M. Martinaud-Dépat se rendre dans les foyers algériens et dans les usines où travaillent les Algériens pour discuter avec eux comme l’ont fait les ministres de la République allemande lors qu’ils se rendirent auprès des ouvriers après les incidents. (Applaudissements à l’extrême gauche. — Interruptions sur de nombreux bancs.)

M. Auguste Joubert. Cela ne ressuscite pas les victimes !

M. Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Je disais que si la police française est armée, la loi a tout de même mis un frein à l’usage de ses armes. Ce frein consiste dans les sommations.

Vous avez évoqué la question de légitime défense et parlé de huit cents policiers. Je ne crois pas à voire chiffre parce que j’étais là, comme je ne peux pas croire ce que disait M. Rabier parce que j’ai vu les Algériens encadrés, d’une part, par une manifestation qui comprenait les représentants de la banlieue parisienne, d’autre part par une manifestation qui comprenait les représentants des arrondissements parisiens.

M. Maurice Rabier. Vous n’avez pas vu la fin du défilé.

M. Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Je suis resté le dernier. (Rires et exclamations à droite, au centre et à l’extrême droite.)

Je reviens à ceci : Si l’on a admis que la police française soit armée, on a mis un frein à l’utilisation de ses armes : c’est l’usage des sommations. Vous n’avez pas dit pourquoi la police a tiré sans sommations. Vous n’avez pas dit quels sont les responsables, vous n’avez pas dit s’ils seront couverts, s’il y aura une enquête sérieuse.