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ASSEMBLEE NATIONALE — 1ère SEANCE DU 16 JUILLET 1953

moins d’une heure après le moment où la bagarre s’est produite.

Je pense, mesdames, messieurs, être votre interprète pour, en élevant ma pensée vers ces loyaux serviteurs de l’État, rendre hommage à tous qui ont accompli leur devoir dans des conditions à la fois difficiles et dramatiques. (Applaudissements sur certains bancs à gauche, — Applaudissements au centre, à droite et à l’extrême droite.)

Mais sans doute, mesdames, messieurs, dans la foule qui manifestait, la misère a-t-elle été aussi mauvaise conseillère que ceux qui l’exploitent à des tins politiques et c’est sur ce sujet que certains orateurs m’ont interpellé pour poser le problème de l’immigration de nos compatriotes algériens vers la métropole.

Jusqu’en 1947, le nombre des Nord-Africains séjournant à Paris ne dépassait pas 50.000. Il est aujourd’hui de 132.000. Sur l’ensemble du territoire et pour les mêmes années 1947 et 1953, il est respectivement de 110.000 et de 308.000. C’est dire qu’un problème grave est posé.

Il est incontestable que c’est l’octroi de la citoyenneté qui, en supprimant les restrictions imposées à l’entrée dans la métropole, a détruit la relative stabilité qui existait autrefois. C’est la conséquence de la loi du progrès. Personne ne peut songer à contester à des hommes le droit de circuler sur la planète et moins encore à l’intérieur de leur commune patrie.

Nos compatriotes algériens viennent ici, attirés par l’appât du gain.

M. Maurice Rabier. Pas par l’appât du gain, mais par nécessité.

M. le ministre de l’intérieur. Les envois mensuels d’argent de leurs camarades qui sont déjà en France et que la famille reçoit, paraissent montrer une source d’aisance. À ce fait s’ajoutent certainement le goût de l’aventure (Exclamations à l’extrême gauche), le recrutement des marchands de voyages qui exploitent cyniquement des malheureux aux yeux desquels ils font miroiter des situations magnifiques que ceux-ci ne trouvent pas quand ils sont abandonnés sur le pavé, à leur arrivée à Paris. Enfin, il faut bien le dire, la propagande nationaliste, qui exploite, d’accord sur ce point tout au moins avec le parti communiste, pour les besoins de son action, vient ajouter de nouveaux voyageurs à d’autres voyageurs. Ce recrutement, d’ailleurs, se poursuit, parce que l’utilisation des Nord-Africains qu’on a fait venir, on la veut efficace et utile.

Sur l’un des malheureux morts on a trouvé cette note : « Je te prendrai en voiture demain matin à quatre heures pour rentrer à Saint-Dié ».

C’était un malheureux Nord-Africain qu’on avait amené jusqu’ici pour manifester, parte qu’il devait être considéré par les organisateurs comme digne de figurer dans les troupes de choc.

Mais quelle infime minorité de mauvais garçons cependant ! Sur les 132.000 Nord-Africains à Paris, ils étaient à peine 4.500 dans le cortège. Je vous ai dit que 2.000 seulement ont pris part aux incidents tragiques. Mais je reconnais que ce serait une erreur de se contenter de ce chiffre et de fermer les yeux sur la montée d’un mécontentement qui s’explique parfaitement.

Avant 1951, on ne dénombrait pas les hommes qui participaient à cette manifestation du 14 juillet, parce que les organisateurs ne voulaient pas alors s’en servir pour esquiver leurs responsabilités. Mais aujourd’hui les états-majors figurant dans la tribune d’honneur peuvent disparaître sans se montrer. C’est plus facile. (Rires et applaudissements à gauche, au centre, à droite et à l’extrême droite.)

Les Nord-Africains étaient 1.500 au défilé du 14 juillet 1951. On en a dénombré 4.000 en 1952 et je vous ai dit tout à l’heure que l’on en comptait 4.500 en 1953.

Le travail du M. T. L. D. qui a bureaux, téléphone, secrétaires et fichiers en plein Paris se révèle fructueux.

Le Gouvernement ne pourra pas tolérer plus longtemps une véritable organisation de guerre civile. (Applaudissements sur certains bancs à gauche, à droite et sur divers bancs à l’extrême droite.)

Pour la seule année 1952, on a dû déplorer plusieurs événements sanglants, vous en avez tous souvenir.

Si les forces de l’ordre doivent évidemment se pencher sur une situation chaque jour plus grave, nous avons le devoir de ne pas détourner notre attention d’un problème social qui, déjà, a justement préoccupé les pouvoirs publics. En liaison avec le ministre du travail et le ministre de la santé publique, mon département se préoccupe d’augmenter l’emploi des Nord-Africains, d’héberger les travailleurs, d’essayer de les adapter à la vie européenne, de préparer leur formation professionnelle, d’assurer leur protection sanitaire et leur rapatriement.

Le 1er janvier 1953, sur les 300.000 Nord-Africains qui sont à Paris, on a relevé 138.887 travailleurs salariés auxquels s’ajoutent environ 20.000 commerçants et de nombreux artisans qui se livrent souvent à un travail noir, ce qui rend difficile leur dénombrement.

Près de 40 p. 100 de ces 138.887 travailleurs sont logés avec l’aide et le concours des employeurs qui se sont dépensés, en général, sans ménager leurs efforts. (Rires à l’extrême gauche.)

M. Maurice Rabier. N’exagérons rien !

M. le ministre de l’intérieur. Malheureusement, les crédits dont nous disposons ne dépassent pas 164 millions de francs.

L’action exercée est encore très insuffisante. Elle n’a pu être étendue qu’avec un appoint, celui d’un crédit de 500 millions qui a été prélevé sur le fonds d’action-sanitaire sociale de la sécurité sociale.

Sept centres d’hébergement sont créés à Paris. À Lyon, dans le Nord, dans l’Est, à Marseille, le même effort a été fait, grâce d’ailleurs, souvent, à l’aide privée où au dévouement d’un certain nombre de personnes qui, connaissant bien nos pays d’Afrique du Nord, portent affection à nos frères musulmans et s’efforcent de les secourir quand ils sont dans la métropole,

La préfecture de la Seine a créé un corps de conseillers sociaux chargés d’aider et de renseigner dans leur langue tous les Nord-Africains. Cent onze centres de formation professionnelle, dont quarante-quatre seulement dans la Seine, sont animés par le ministre de l’éducation nationale. Mais je reconnais que l’effort ne serait pleinement efficace que si l’on disposait de plusieurs milliards de crédits.

Pour faire face au seul logement des arrivants excédentaires de 1951, au nombre de 50.000, il faudrait 50.000 lits supplémentaires. Or, le centre d’hébergement a établi qu’un lit revient à 150.000 francs. Il s’agirait donc, à ce seul titre, d’une dépense de 8 milliards.

Vous comprenez, mesdames, messieurs, que malgré la bonne volonté, l’effort des administrations, le dévouement des fonctionnaires qui, connaissant bien ce problème, se penchent sur lui avec sollicitude et la volonté qu’a le Gouvernement de le résoudre, il faut aussi demander un effort analogue à l’Algérie pour discipliner la migration, prévenir les candidats au départ contre les pièges d’échec et promouvoir une politique commune de l’emploi et de la formation professionnelle.

Je dois dire que, dans notre effort, nous sommes encore aidés par les collectivités locales. À Belfort et dans la ville de mon ami M. Chaban-Delmas, à Bordeaux, des emprunts communaux ont été émis en vue de porter remède à une situation que les maires, les conseils municipaux et les conseils généraux ne peuvent plus ignorer.

C’est, sous le voyez, un immense problème qui est posé, un immense problème qu’on a commencé à résoudre, qui à surgi rapidement et brutalement à partir de 1947, dont l’excédent de la population algérienne, d’environ 130.000 âmes par an, rend encore plus difficile la solution parce que l’émigration est d’autant plus tentante, comme l’a dit un orateur, que, les ressources restant les mêmes, la répartition entre ceux qui restent là-bas est plus difficile.

Tout n’est pas sombre cependant, mesdames, messieurs, dans ce tableau. Les résultats satisfaisants que j’ai énumérés viennent soutenir notre effort. Je ne donnerai qu’un exemple.

Le ministère du travail a pu établir, dans une statistique récente, que, sur 48.466 salariés répartis en 2.025 entreprises, après une période de formation professionnelle 31 p. 100 d’entre eux seulement sont restés manœuvres, tandis que 58 p. 100 sont maintenant des ouvriers spécialisés et 5 p, 100 comptent parmi les agents de maîtrise et de cadre.

Tel est l’effort qui est fait et qu’il faut continuer,

Vous m’avez demandé, monsieur Grousseaud, d’essayer d’attacher mon nom à la solution de ce problème. Je le ferai avec d’autant plus d’émotion que, vous le savez, cette Afrique du Nord, partie intégrante de la France, cette Algérie qu’on ne peut séparer de la métropole, sont proches de mon cœur.