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ASSEMBLEE NATIONALE - 1ère SEANCE DU 16 JUILLET 1953

M. Amar Naroun. Tous les orateurs ont parlé de ces événements avec émotion. Vous n’avez pas dit un mot pour les victimes.

M. André Liautey. En dehors de cette déchéance de la citoyenneté française, ne serait-il pas possible, sans transgresser des principes auxquels nous sommes attachés, de prendre d’habiles mesures pour renvoyer chez eux les Nord-Africains qui s’obstinent à rester des chômeurs professionnels. (Vives protestations à l’extrême gauche et à gauche.)

M. Georges Cogniot. Vous sabotez l’intérêt national.

M. Mostefa Benbhamed. Vous êtes un raciste !

M. le président. Je prie M. Liautey de mesurer ses paroles. Il s’agit d’un débat extrêmement délicat et triste et il conviendrait de ne pas heurter à peu près l’unanimité de l’Assemblée. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. Mostefa Benbhamed. Monsieur le président, cet homme, depuis qu’il a pris la parole, ne cesse d’insulter toute une collectivité.

M. Amar Naroun. On lui a fait son discours ; il le récite et mal.

M. André Liautey. Monsieur le président, je dirai ce que ma conscience m’ordonne de dire sans me préoccuper des réactions que mes paroles susciteront. Ce sont d’ailleurs des paroles empreintes d’affection pour tous les Algériens qui sont des citoyens français loyaux.

M. Mostefa Benbhamed. Il n’a pas un seul mot pour les morts.

M. André Liautey. … quant aux ennemis de mon pays, je n’ai pas à les ménager.

L’administration, qui fait preuve de tant d’ingéniosité lorsqu’il s’agit d’obtenir de l’argent des contribuables, devrait pouvoir mettre au point des textes capables d’éliminer les éléments indésirables tout en conservant l’intégralité de leurs droits aux Nord-Africains qui, en nombre très important, se sont montrés dignes de la qualité de citoyens français qui leur a été conférée.

Il serait inconcevable que des mesures ne fussent pas prises de toute urgence pour mettre fin à la carence gouvernementale en face de l’immense danger qui pèse sur la sécurité de Paris et sur celle du pays tout entier.

C’est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, quelles dispositions vous comptez prendre, dans les plus brefs délais, pour déjouer et réprimer le complot de ceux qui, serviteurs d’un nationalisme étranger, se préparent à lancer les Nord-Africains en avant comme une troupe de choc contre Les institutions républicaines, contre la population française et à en faire l’instrument sanglant de la révolution politique et sociale qu’ils ne cessent de fomenter tant qu’ils ne reçoivent pas d’instructions contraires.

Sur de nombreux bancs à l’extrême gauche. Fasciste ! fasciste !

M. Amar Naroun. C’est de la sale besogne, monsieur Liautey !

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur certains bancs à gauche.)

M. Léon Martinaud-Déplat. ministre de l’intérieur. Je demande à l’Assemblée de prononcer le renvoi à la suite des interpellations, mais avant le scrutin je voudrais répondre à chacune des questions qui m’ont été posées.

Elles concernent d’une part le droit de manifestation, d’autre part le dispositif de sécurité qui avait été mis en place le 14 juillet, le déchainement des violences et le rétablissement de l’ordre, et enfin le problème politique créé par l’immigration nord-africaine, que plusieurs orateurs ont porté à cette tribune.

M. Dronne et M. Guérard m’ont demandé pourquoi je n’avais pas interdit la manifestation du 14 juillet et pourquoi je n’avais pas empêché le défilé de la Bastille à la Nation.

Je leur répondrai que depuis longtemps il est de tradition d’accorder le jour de la fête nationale l’autorisation d’un cortège qui va de la Bastille à la Nation.

La question se pose, évidemment, de savoir si ces défilés n’ont pas de graves inconvénients. Pour les maintenir, on peut s’appuyer sur une tradition de liberté, mais pour les interdire il y a un argument sérieux, c’est le danger, nous le constatons, qu’ils font courir à l’ordre public.

J’ai pour ma part, dès mon arrivée place Beauvau, été saisi de la question, et j’ai opté pour l’autorisation après avoir étudié et approuvé les instructions précises qui avaient été arrêtées par M. le préfet de police et qui avaient été communiquées aux organisateurs du défilé.

Je dois constater que sur un premier point elles ont été transgressées, car aucun panneau, aucun calicot ne devaient figurer dans le défilé. Ils étaient interdits.

Or, j’ai là, à côté de beaucoup d’autres photographies dont j’offrais tout à l’heure quelques échantillons à M. d’Astier de la Vigerie, qui a romancé les événements, celle d’un panneau portant l’inscription : « Nous voulons rester Français, des officiers et des sous-officiers français ». (Applaudissements à l’extrême gauche.)

Vos applaudissements, mesdames, messieurs (l’orateur s’adresse à l’extrême gauche), seraient parfaitement justifiés si cette inscription, qui en soi ne peut être qu’approuvée, ne voisinait avec d’autres qui n’avaient rien à voir avec le rappel des droits de l’homme et du citoyen, la demande des libertés pour tous, l’égalité des droits de tous les citoyens, que tout le monde dans cette Assemblée ne peut qu’approuver, avec d’autres, dis-je, qui étaient de nature à déchaîner la haine et le désordre.

M. Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Lesquelles ?

M. le ministre de l’intérieur. Je vais vous le dire. Elle voisinait notamment avec une pancarte qui, se déployant à deux pas d’un service d’ordre dont vous n’ignorez pas qu’il existait dans la coulisse s’il ne figurait sur la scène, disait : « À bas le racisme policier ! »

Je ne pense pas que vous puissiez appuyer sur aucun fait concret l’affirmation selon laquelle il existe dans la police un racisme quelconque. (Mouvements divers à l’extrême gauche et sur divers bancs.)

M. le président. Je vous en prie, mesdames, messieurs, écoutez en silence M. le ministre de l’intérieur.

Plusieurs de vos orateurs se sont exprimés à la tribune.

M. le ministre de l’intérieur. Elle voisinait encore avec d’autres pancartes hissées sur voitures automobiles et qui attestaient l’intervention du parti communiste italien et saluaient le succès de M. Togliatti au delà des Alpes.

Et laissez-moi dire que ce a était le plus pénible pour ceux qui avaient assisté, avec les 120.000 spectateurs, sur les Champs-Élysées, au magnifique défilé de nos troupes, le matin même, s’est que, dans ce cortège où voisinaient des slogans aussi injurieux pour la police et aussi peu en liaison avec le souci de l’ordre public, figuraient des officiers en uniforme, J’ai la les photographies qui ont été prises sur place. Ces officiers venaient apporter, avec leur uniforme, une sorte de caution à une manifestation dont on a beau dire qu’elle a tenté de rallier toute l’opinion républicaine, mais qui n’a groupé en réalité que des organisations communistes et paracommunistes plus le M. T. L. D. algérien. Elle n’a rien rassemblé de plus, et pour ma part je déplore que des officiers de réserve aient cru devoir revêtir leur uniforme pour figurer dans une pareille manifestation.

M. Alfred Malleret-Joinville. Ils le font traditionnellement. Ils l'ont toujours fait depuis l’origine, sauf sous Pétain et Hitler.

M. le ministre de l’intérieur. J’accorde donc, mesdames, messieurs, qu’il y a là un problème qui vaut autant pour ses répercussions sur l’opinion que l’étranger se fait de la France que sur le moral du pays.

Mais je pense que ni M. Dronne, ni M. Guérard, ne voudront enlever au ministre de l’intérieur le sens et le souci de ses responsabilités, et que c’est à moi, tant que je serai place Beauvau, qu’il appartiendra d’apprécier l’opportunité d’une autorisation à donner ou à refuser.

Sur un second point, je voudrais dire que les instructions ont encore été transgressées, et par là-même, j’aborde la question du dispositif de sécurité qui avait été mis en place.

Le cortège se formait à la Bastille et, en ce point qui pouvait être névralgique et qui l’a été d’ailleurs un peu, encadrés par