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LES MANŒUVRES DE M. JULES FERRY

Nos lecteurs ont vu, il y a deux jours, que le Times, dans une lettre de son correspondant parisien, M. Oppert de Blowitz, avait annoncé que M. Jules Grévy était décidé à se démettre de ses fonctions de Président de la République.

Cette information a donné lieu à un démenti catégorique : le public, d’ailleurs, n’y avait pas attaché une grande importance ; mais il n’en a pas été de même dans notre monde politique.

Là, on a l’habitude d’aller au fond des choses, on tient à se renseigner sur les petits mobiles qui mettent en jeu la presse, et surtout certains journaux étrangers, et l’on na pas tardé à apprendre que le correspondant du Times, qui avait lancé la nouvelle de la démission du Président de la République, est un des hôtes les plus assidus de M. Jules Ferry et recueille ses principales informations dans le cabinet du président du Conseil des ministres.

On en a conclu, naturellement, que celui-ci n’était peut-être pas étranger à la fausse nouvelle donnée par le Times.

De là à vouloir s’assurer que ces soupçons étaient fondés, il n’y avait qu’un pas, et, d’après ce qu’annonce l’Événement, on en serait arrivé à découvrir qu’en effet, M. Jules Ferry avait donné à entendre au journal anglais que M. Jules Grévy songerait à se démettre de ses hautes fonctions.

L’Événement dit : – « M. Jules Ferry a lancé la nouvelle de la démission de M. Jules Grévy comme un « ballon d’essai » ; il serait très-satisfait de voir cette nouvelle devenir vraie, soit que la retraite de M. Jules Grévy dût avoir pour conséquence, selon ses secrètes espérances, de le faire élever lui-même à la Présidence de la République, soit qu’elle dût faire investir de ces hautes fonctions un homme politique entièrement acquis à sa personne et à sa politique. »

Voilà donc à quoi M. Jules Ferry passe son temps : – d’une part, il invente des dangers imaginaires et, faisant œuvre de violence, emploie des mesures de rigueur dignes tout au plus des plus mauvais jours de l’Empire ; et, d’autre part, il ne craint pas, alors que le pays a tant besoin de calme, de compliquer les incidents politiques et d’annoncer la prochaine démission de M. Jules Grévy.

Ces manœuvres seront sévèrement jugées.

Nous ajouterons que si, comme tout porte à le croire, M. Jules Ferry a réellement conçu les espérances qu’on lui prête quant à la Présidence de la République, elles ne sont certainement point à la veille de se réaliser, M. Jules Grévy étant fermement résolu à demeurer au poste élevé où l’a appelé la confiance des représentants du pays.




On annonce que M. Schnerb, directeur de la Sûreté générale, serait remplacé par M. Martin.

M. Martin est de Rennes, comme MM. Waldeck-Rousseau et Martin-Feuillée ; ces ministres ont voulu, sans doute, avoir un homme à eux sous la main, pour diriger actuellement les affaires de police.




Nos Informations

On sait que le Budget extraordinaire ne sera déposé qu’à une époque indéterminée.

Ce retard est préjudiciable au bon ordre de nos finances.

Comment, en effet, discuter le Budget ordinaire si on ne connaît pas le Budget extraordinaire ?

Voilà où nous mène l’abus des Commissions extra-parlementaires. Il en est une qui a été instituée il y a six mois au ministère des Travaux publics pour étudier le régime des chemins de fer. Cette Commission n’a pu encore aboutir, et personne ne peut savoir quand elle aura fini ses travaux.


Le ministre de la Guerre publiera à la fin du mois les nouveaux Cahiers des charges pour l’adjudication des fournitures d’habillement et d’équipement de l’armée.


On lit dans le Prologue militaire :

« Il est probable que le gouvernement de la République française sera représenté à la cérémonie du couronnement du czar par le général de division Billot ; l’ancien ministre de la Guerre sera accompagné à Moscou par une mission extraordinaire composée du général Pittié et d’un officier d’ordonnance du Président de la République, d’un conseiller d’ambassade, d’un capitaine de vaisseau et de trois officiers supérieurs ».




JOURNÉE PARLEMENTAIRE

SÉNAT

Séance du 16 mars

On continue à s’occuper des fonds de subvention et d’avance pour les lycées, collèges et écoles primaires.

M. Fournier essaie de faire revenir le Sénat sur l’article 8 qu’il a voté déjà. Son article additionnel ajournerait à cinq ans les effets de cet article : la construction des bâtiments scolaires. M. Fournier en est pour ses frais d’éloquence.

Les articles 9, 10 et 11 sont adoptés, non sans opposition de la part de la Droite.

Enfin, on accorde un crédit de 400,000 francs pour l’agrandissement de l’École normale supérieure et l’on vote un accroissement des crédits pour les chemins vicinaux.




LES ARRESTATIONS

Nous avons annoncé, il y a quelques jours, que MM. Goujet et Mareuil, qui étaient aux côtés de Mlle Louise Michel à la manifestation de l’Esplanade des invalides, avaient été arrêtés.

Une perquisition a été faite à leur domicile, et plusieurs papiers ont été saisis et remis à M. Barbette, juge d’instruction. Laubardemont ne demandait que quatre lignes d’un homme pour le faire pendre : M. Barbette n’en demande pas plus pour échafauder un complot, et il a cru reconnaître dans les correspondances saisies l’existence d’une conspiration ne tendant à rien moins qu’au renversement du gouvernement.

M. Loew, procureur de la République, a été aussitôt informé.

Des mandats d’amener furent lancés, contre plusieurs personnes.

Hier matin, à six heures, des commissaires de police, munis de mandats d’amener, se sont présentés, accompagnés de plusieurs agent, au domicile de MM. Allemane, Bastetti et Letailleur et les ont mis en état d’arrestation.

Ceux-ci ont été conduits au Dépôt après avoir été interrogés par le juge d’instruction.

L’arrestation de M. Allemane, en particulier, paraît d’autant plus surprenante qu’il s’était prononcé contre la manifestation du 9 mars.


M. de Chauvigny, commissaire de police du quartier du Temple, s’est présenté rue du Temple, 103, chez M. Poiret, père de Mlle d’Erlincourt.


Avant-hier, dans la matinée, un commissaire de police s’est présenté au domicile de Mlle Louise Michel, 45, boulevard Ornano, et a demandé à lui parler.

Mlle Louise Michel n’était pas chez elle ; sa mère seule s’y trouvait, avec une amie qui lui tenait compagnie.

Le commissaire de police a dû se borner à opérer une minutieuse perquisition, qui, du reste, n’a amené aucun résultat.




L’Empoisonnement du prince Gortschakoff

Les bruirs d’empoisonnement qui ont couru après la mort du prince Gortschakoff, le célèbre diplomate russe, ennemi de la politique allemande, ont pris une consistance de plus en plus grande.

On assure que les médecins chargés de procéder à l’autopsie auraient déclaré qu’on avait administré du phosphore à l’ancien grand-chancelier.

Un fait est certain, c’est que le prince Gortschakoff est mort, non pas à l’hôtel de l’Europe, où il avait son appartement, mais chez son amie, une fort belle allemande, Mme Lina Braun, que le prince connaissait depuis le Congrès de Berlin.

Mme Braun est la femme divorcée d’un ancien officier de l’armée allemande ; le prince lui avait installé à Baden-Baden une villa magnifique.

Le cadavre du prince a été transféré à l’hôtel de l’Europe par les soins de la police.