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LE PRINCE.

que sans les Suisses ils ne tiennent point contre d’autres troupes. Ainsi les armées françaises sont actuellement mixtes, c’est-à-dire composées en partie de troupes mercenaires, et en partie de troupes nationales ; composition qui les rend sans doute beaucoup meilleures que des armées formées en entier de mercenaires ou d’auxiliaires, mais très-inférieures à celles où il n’y aurait que des corps nationaux.

Si l’ordre établi par Charles VII avait été conservé et amélioré, la France serait devenue invincible. Mais la faible prudence humaine se laisse séduire par l’apparente bonté qui, dans bien des choses, couvre le venin qu’elles renferment, et qu’on ne reconnaît que dans la suite, comme dans ces fièvres d’étisie dont j’ai précédemment parlé. Cependant le prince qui ne sait voir le mal que lorsqu’il se montre à tous les yeux, n’est pas doué de cette habileté qui n’est donnée qu’à un petit nombre d’hommes.

Si l’on recherche la principale source de la ruine de l’empire romain, on la trouvera dans l’introduction de l’usage de prendre des Goths à sa solde : par là, en effet, on commença à énerver les troupes nationales, de telle sorte que toute la valeur qu’elles perdaient tournait à l’avantage des barbares.

Je conclus donc qu’aucun prince n’est en sûreté s’il n’a des forces qui lui soient propres : se trouvant sans défense contre l’adversité, son sort dépend en entier de la fortune. Or les hommes éclairés ont toujours pensé et dit qu’il n’y a rien d’aussi frêle et d’aussi fugitif qu’un crédit qui n’est pas fondé sur notre propre puissance.

J’appelle, au surplus, forces propres, celles qui sont composées de citoyens, de sujets, de créatures du prince. Toutes les autres sont ou mercenaires ou auxiliaires.

Et quant aux moyens et à la manière d’avoir ces forces propres, on les trouvera aisément, si l’on réfléchit sur les établissements dont j’ai eu l’occasion de parler. On