Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/68

Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
LE PRINCE.

armée en Sicile, il convoqua un matin le peuple et le sénat de Syracuse, comme pour délibérer sur des affaires qui concernaient la république ; et, à un signal donné, il fit massacrer par ses soldats tous les sénateurs et les citoyens les plus riches, après quoi il s’empara de la principauté, qu’il conserva sans aucune contestation. Dans la suite, battu deux fois par les Carthaginois, et enfin assiégé par eux dans Syracuse, non-seulement il put la défendre, mais encore, laissant une partie de ses troupes pour soutenir le siége, il alla avec l’autre porter la guerre en Afrique ; de sorte qu’en peu de temps il sut forcer les Carthaginois à lever le siége, et les réduire aux dernières extrémités : aussi furent-ils contraints à faire la paix avec lui, à lui abandonner la possession de la Sicile, et à se contenter pour eux de celle de l’Afrique.

Quiconque réfléchira sur la marche et les actions d’Agathocle n’y trouvera presque rien, si même il y trouve quelque chose, qu’on puisse attribuer à la fortune. En effet, comme je viens de le dire, il s’éleva au pouvoir suprême, non par la faveur, mais en passant par tous les grades militaires, qu’il gagna successivement à force de travaux et de dangers ; et quand il eut atteint ce pouvoir, il sut s’y maintenir par les résolutions les plus hardies et les plus périlleuses.

Véritablement on ne peut pas dire qu’il y ait de la valeur à massacrer ses concitoyens, à trahir ses amis, à être sans foi, sans pitié, sans religion : on peut, par de tels moyens, acquérir du pouvoir, mais non de la gloire. Mais si l’on considère avec quel courage Agathocle sut se précipiter dans les dangers et en sortir, avec quelle force d’âme il sut et souffrir et surmonter l’adversité, on ne voit pas pourquoi il devrait être placé au-dessous des meilleurs capitaines. On doit reconnaître seulement que sa cruauté, son inhumanité et ses nombreuses scélératesses, ne permettent pas de le compter au nombre des grands hommes. Bornons-nous donc à conclure