Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/66

Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
LE PRINCE.

autrement ; et l’exécution de ses desseins ne put être arrêtée que par la brièveté de la vie de son père Alexandre, et par sa propre maladie. Quiconque, dans une principauté nouvelle, jugera qu’il lui est nécessaire de s’assurer contre ses ennemis, de se faire des amis, de vaincre par force ou par ruse, de se faire aimer et craindre des peuples, suivre et respecter par les soldats, de détruire ceux qui peuvent et doivent lui nuire, de remplacer les anciennes institutions par de nouvelles, d’être à la fois sévère et gracieux, magnanime et libéral, de former une milice nouvelle et dissoudre l’ancienne, de ménager l’amitié des rois et des princes, de telle manière que tous doivent aimer à l’obliger et craindre de lui faire injure : celui-là, dis-je, ne peut trouver des exemples plus récents que ceux que présente la vie politique du duc de Valentinois.

La seule chose qu’on ait à reprendre dans sa conduite, c’est la nomination de Jules II, qui fut un choix funeste pour lui. Puisqu’il ne pouvait pas, comme je l’ai dit, faire élire pape qui il voulait, mais empêcher qu’on n’élût qui il ne voulait pas, il ne devait jamais consentir qu’on élevât à la papauté quelqu’un des cardinaux qu’il avait offensés, et qui, devenu souverain pontife, aurait eu sujet de le craindre ; car le ressentiment et la crainte sont surtout ce qui rend les hommes ennemis.

Ceux que le duc avait offensés étaient, entre autres, les cardinaux de Saint-Pierre ès liens, Colonna, Saint-Georges et Ascanio Sforza ; et tous les autres avaient lieu de le craindre, excepté le cardinal d’Amboise, et les Espagnols : ceux-ci, à cause de certaines relations et obligations réciproques, et d’Amboise, parce qu’il avait pour lui la France, ce qui lui donnait un grand pouvoir. Le duc devait donc de préférence faire nommer un Espagnol ; et s’il ne le pouvait pas, consentir plutôt à l’élection de d’Amboise qu’à celle du cardinal de Saint-Pierre ès liens. C’est une erreur d’imaginer que, chez