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CHAPITRE VII.

un bon gouvernement : c’est pourquoi il y commit messer Ramiro d’Orco, homme cruel et expéditif, auquel il donna les plus amples pouvoirs. Bientôt, en effet, ce gouvernement fit naître l’ordre et la tranquillité ; et il acquit par là une très-grande réputation. Mais ensuite le duc, pensant qu’une telle autorité n’était plus nécessaire, et que même elle pourrait devenir odieuse, établit au centre de la province un tribunal civil, auquel il donna un très-bon président, et où chaque commune avait son avocat. Il fit bien davantage : sachant que la rigueur d’abord exercée avait excité quelque haine, et désirant éteindre ce sentiment dans les cœurs, pour qu’ils lui fussent entièrement dévoués, il voulut faire voir que si quelques cruautés avaient été commises, elles étaient venues, non de lui, mais de la méchanceté de son ministre. Dans cette vue, saisissant l’occasion, il le fit exposer un matin sur la place publique de Césène, coupé en quartiers, avec un billot et un coutelas sanglant à côté. Cet horrible spectacle satisfit le ressentiment des habitants, et les frappa en même temps de terreur. Mais revenons.

Après s’être donné des forces telles qu’il les voulait, et avoir détruit en grande partie celles de son voisinage qui pouvaient lui nuire, le duc, se trouvant très-puissant, se croyait presque entièrement assuré contre les dangers actuels ; et voulant poursuivre ses conquêtes, il était encore retenu par la considération de la France : car il savait que le roi, qui enfin s’était aperçu de son erreur, ne lui permettrait point de telles entreprises. En conséquence, il commença à rechercher des amitiés nouvelles et à tergiverser avec les Français, lorsqu’ils marchaient vers le royaume de Naples contre les Espagnols, qui faisaient le siège de Gaëte ; il projetait même de les mettre hors d’état de le contrarier ; et il en serait venu bientôt à bout, si Alexandre avait vécu plus longtemps.