Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/609

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’hommes corrompus et intéressés à l’ancienne monarchie. Ils n’ont point d’amis, car ils ne récompensent que le mérite, et le mérite récompensé n’est l’obligé de personne ; ils ne donnent que des franchises, et on ne peut être l’obligé de celui qui ne nous offense pas. » Les hommes de la république manquent donc de partisans ; ils n’ont que des ennemis. Veulent-ils poursuivre l’œuvre de la liberté, ils doivent exterminer jusqu’au dernier les gentilshommes, et, dans ce but, il faut qu’ils s’emparent de la république par la force, qu’ils la gouvernent en princes, et des hommes qui débutent par le mal ne voudront pas aboutir au bien ; ils deviendront des tyrans. « Il est difficile, il est impossible, conclut Machiavel, que l’on maintienne la république improvisée, et même pour la maintenir il faut la faire pencher vers la monarchie ; de cette manière on contiendra l’insolence de ses ennemis par une autorité quasi-royale, tandis que si on la corrigeait par d’autres moyens, ce serait là une entreprise très-cruelle et impossible[1]. » Donc les hommes de la république n’ont pas de partisans. Napoléon, par un coup d’État, sera un maitre ; l’intérêt même de la liberté nouvelle lui confère une autorité quasi-royale : la situation est nette, son rôle est tracé, Napoléon avancera en combattant à la fois l’ancienne monarchie et la nouvelle république. Voyons-le à l’œuvre. « Pour combattre l’ancien gouvernement (je copie Machiavel), le meilleur moyen est de tout renouveler, de faire un gouvernement nouveau, avec de nouveaux noms, une autorité nouvelle, des hommes nouveaux, en enrichissant les pauvres, en dépouillant les riches[2]. » Voilà Napoléon qui dicte le Code, organise la liberté, réalise les projets de la convention. Comment pourra-t-il vaincre la république nouvelle ? « Elle n’a que deux classes d’amis (je copie toujours Machiavel) : les uns, en très-petit nombre, l’aiment pour commander ; les autres, et ils forment l’immense majorité, ne l’aiment que pour vivre sûrs. Quant aux premiers, attendu leur nombre fort restreint, il est facile de les contenter par des honneurs ou de les supprimer. » Voilà Sieyès contenté, Fouché absorbé, le tribunat supprimé, Moreau brisé (levato via). « Le plus grand nombre, poursuit Machiavel, n’aime la nouvelle liberté que pour vivre rassuré, et on peut aisément le satisfaire par des institutions et des lois où le

  1. Disc. sur les Décades de Tite-Live, l. 1, ch. 18.
  2. Disc. sur les Décades de Tite-Live, l. 1, ch. 26.