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LE PRINCE.

duc de Valentinois, devenu prince par la fortune de son père, perdit sa principauté aussitôt que cette même fortune ne le soutint plus, et cela quoiqu’il n’eût rien négligé de tout ce qu’un homme prudent et habile devait faire pour s’enraciner profondément dans les États que les armes d’autrui et la fortune lui avaient donnés. Il n’est pas impossible, en effet, comme je l’ai déjà dit, qu’un homme extrêmement habile pose, après l’élévation de son pouvoir, les bases qu’il n’aurait point fondées auparavant ; mais un tel travail est toujours très-pénible pour l’architecte, et dangereux pour l’édifice.

Au surplus, si l’on examine attentivement la marche du duc, on verra tout ce qu’il avait fait pour consolider sa grandeur future ; et c’est sur quoi il ne paraît pas inutile de m’arrêter un peu ; car l’exemple de ses actions présente sans doute les meilleures leçons qu’on puisse donner à un prince nouveau, et si toutes ses mesures n’eurent en définitive aucun succès pour lui, ce ne fut point par sa faute, mais par une contrariété extraordinaire et sans borne de la fortune.

Alexandre VI, voulant agrandir le duc son fils, y trouva pour le présent et pour l’avenir beaucoup de difficultés. D’abord, il voyait qu’il ne pouvait le rendre maître que de quelque État qui fût du domaine de l’Église ; et il savait que le duc de Milan et Venise n’y consentiraient point, d’autant plus que Faenza et Rimini étaient déjà sous la protection des Vénitiens. Il voyait de plus toutes les forces de l’Italie, et spécialement celles dont il aurait pu se servir, dans les mains de ceux qui devaient redouter le plus l’agrandissement du pape ; de sorte qu’il ne pouvait compter nullement sur leur fidélité, car elles étaient sous la dépendance des Orsini, des Colonna, et de leurs partisans. Il ne lui restait donc d’autre parti à prendre que celui de tout brouiller et de semer le désordre entre tous les États de l’Italie, afin de pouvoir en saisir quelques-uns à la faveur des troubles. Cela ne