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CHAPITRE XLIV.


On emporte souvent, par la violence et l’audace, ce qu’on n’obtiendrait jamais par les moyens ordinaires.


Les Samnites, attaqués par l’armée romaine, ne pouvant tenir campagne et résister en face aux Romains, prirent le parti de mettre de fortes garnisons dans toutes les villes du Samnium, et de passer avec toute leur armée dans la Toscane, qui était alors en trêve avec les Romains, pour voir si leur passage et la présence de leur armée pourraient engager les Toscans à prendre les armes ; ce qu’ils avaient refusé à leurs ambassadeurs. Dans le discours que les Samnites adressèrent aux Toscans, pour leur faire mieux sentir les motifs qui leur avaient mis les armes à la main, ils se servirent de ces expressions bien remarquables : Rebellasse, quod pax servientibus gravior, quam liberis bellum esset. C’est ainsi que, moitié par persuasion, moitié par la présence de leur armée, ils les excitèrent à prendre les armes.

On doit tirer de ce fait la conclusion que, quand un prince désire obtenir quelque chose d’un autre, il doit, si l’occasion le permet, ne pas lui laisser le temps de réfléchir, et faire en sorte qu’il sente lui-même la nécessité d’une prompte résolution ; ce qui arrive toutes les fois que celui qu’on sollicite s’aperçoit que son refus ou ses retards peuvent faire naître contre lui un prompt et dangereux ressentiment.

Nous avons vu de nos jours un exemple frappant de cette conduite entre le pape Jules et les Français, et entre monseigneur de Foix, général des armées du roi de France, et le marquis de Mantoue. Le pape Jules II avait l’intention de chasser les Bentivogli de Bologne : jugeant que les forces des Français pourraient le servir,