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les avis de son père, qui lui conseillait, ou de renvoyer librement les Romains, ou de les massacrer tous, et de ne point s’arrêter à une de ces demi-mesures qui n’ont fait jamais ni acquérir un ami, ni perdre un ennemi, quæ neque amicos parat, neque inimicos tollit ; mesures qui, ainsi que je l’ai dit ailleurs, ont toujours été dangereuses dans les affaires d’État.



CHAPITRE XLI.


La patrie doit se défendre par la honte ou par la gloire, et, dans l’un et l’autre cas, elle est bien défendue.


Le consul et l’armée romaine, ainsi que je viens de le dire, se trouvaient assiégés par les Samnites, qui leur proposèrent les conditions les plus ignominieuses, entre autres de les faire passer sous le joug, et de les renvoyer à Rome, après les avoir désarmés. À ces propositions, les consuls restèrent frappés d’étonnement, et toute l’armée tomba dans le désespoir ; mais Lucius Lentulus, l’un des lieutenants, représenta qu’il ne pensait pas qu’on pût rejeter un parti auquel était attaché le salut de la patrie, puisque l’existence de Rome reposait sur celle de l’armée ; qu’il fallait donc la sauver à tout prix ; que la patrie est toujours bien défendue, de quelque manière qu’on la défende, soit par la gloire, soit par la honte ; qu’en préservant l’armée de sa perte, Rome serait toujours à temps d’effacer son ignominie ; mais qu’en ne la sauvant point, encore qu’on mourût glorieusement, Rome et la liberté étaient également perdues. Le conseil de Lentulus fut suivi.

Ce fait est digne d’attention et mérite de servir de règle à tout citoyen qui serait appelé à donner des conseils à sa patrie. Partout où il faut délibérer sur un parti d’où dépend uniquement le salut de l’État, il ne faut être