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en triomphe par les armes. C’est le jugement que portent ceux qui ont écrit l’histoire des grands hommes : ils louent Annibal et tous les capitaines qui se sont fait remarquer par une semblable manière d’agir. Les exemples en sont trop nombreux pour que j’en rapporte aucun.

Je ferai observer seulement que je ne regarde pas comme une ruse glorieuse celle qui nous porte à rompre la foi donnée et les traités conclus ; car, bien qu’elle ait fait quelquefois acquérir des États et une couronne, ainsi que je l’ai exposé précédemment, elle n’a jamais procuré la gloire : je parle seulement de ces tromperies dont on use envers un ennemi qui ne se repose point sur votre foi, et qui consistent proprement dans la conduite de la guerre. Telle est celle d’Annibal, lorsqu’arrivé près du lac Trasimène, il feignit de prendre la fuite pour renfermer le consul et l’armée romaine ; et lorsque, pour échapper des mains de Fabius Maximus, il mit des brandons enflammés aux cornes d’un troupeau de bœufs.

C’est d’une ruse semblable que se servit Pontius, général des Samnites, pour renfermer les Romains dans les Fourches Caudines. Après avoir caché son armée sur le revers de la montagne, il envoya un certain nombre de soldats déguisés en bergers conduire dans la plaine de nombreux troupeaux ; les Romains, s’en étant emparés, demandèrent où était l’armée des Samnites : tous les prisonniers, conformément aux instructions de Pontius, répondirent uniformément qu’elle était occupée à faire le siége de Nocera. Ce rapport, cru aisément par les consuls, fut cause qu’ils s’engagèrent sans crainte dans les défilés de Caudium ; mais à peine y furent-ils entrés, qu’ils se trouvèrent soudain enveloppés par les Samnites.

Cette victoire, obtenue par la ruse, eût été bien plus glorieuse encore pour Pontius, s’il avait voulu suivre