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sent une république aux plus graves dangers, lorsqu’on n’y remédie pas de bonne heure. Pour développer ma pensée j’ajouterai qu’une république ne peut subsister sans citoyens recommandables, et se gouverner heureusement sans leur concours. Mais, d’un autre côté, c’est à la célébrité des citoyens que la tyrannie doit sa naissance. Afin de prévenir ce malheur, il faut établir des institutions telles, que la réputation d’un homme illustre soit utile sans jamais être nuisible à l’État ou à la liberté. Il faut donc examiner les chemins que suivent les citoyens pour se mettre en crédit. Il y en a deux en effet : la conduite privée, et la conduite publique. On arrive à la considération par la conduite publique, en donnant de bons conseils, et mieux encore, en agissant pour l’intérêt commun. Ces chemins doivent toujours être ouverts aux citoyens ; et il faut présenter à ceux qui y marchent de telles récompenses, qu’ils puissent tout à la fois y trouver l’honneur et la satisfaction ; et quand la renommée acquise par ces voies est pure et sans détour, elle ne peut occasionner aucun danger.

Mais quand la réputation est le fruit de la conduite privée, qui est le second chemin dont nous avons parlé, elle est extrêmement dangereuse et nuisible sous tous les rapports. La conduite privée consiste à rendre des services à tous les citoyens indistinctement, soit en leur prêtant de l’argent, soit en mariant leurs filles, soit en les défendant contre les magistrats, soit enfin en les comblant de tous ces bienfaits qui font les partisans, et qui donnent la hardiesse à celui qui a obtenu par ces voies la faveur du peuple de le corrompre et de violer les lois.

Ainsi une république bien ordonnée doit, comme on l’a dit, ouvrir tous les chemins à celui qui recherche la faveur du peuple par les voies publiques ; mais elle doit les fermer devant ceux qui la poursuivent par les voies privées. C’est ainsi que Rome se comporta, en instituant