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CHAPITRE XXIV.


La prolongation des commandements rendit Rome esclave.


Si l’on examine attentivement la manière de procéder de la république romaine, on apercevra que sa dissolution doit être attribuée à deux causes : la première, les dissensions que la loi agraire fit naître ; la dernière, la prolongation des commandements. Si ces deux causes avaient été bien connues dès le principe, et qu’on y eût opposé les remèdes voulus, la liberté aurait vu son existence prolongée, et peut-être même plus tranquille. Et, quoique la prolongation du commandement n’ait jamais en apparence occasionné de troubles dans Rome, on voit cependant, en effet, combien devint nuisible à la république l’autorité que les citoyens y usurpèrent par ce moyen.

Si les autres citoyens dont les magistratures furent prorogées avaient été aussi sages et aussi vertueux que Lucius Quintius, on n’eût point été exposé à de pareils dangers. Sa vertu offre un exemple remarquable. Le peuple ayant fait un accommodement avec le sénat et prolongé d’une année le pouvoir des tribuns, parce qu’il les croyait propres à résister à l’ambition des nobles, le sénat, pour rivaliser avec le peuple et ne pas lui paraître inférieur, voulut continuer L. Quintius dans son consulat ; mais Quintius rejeta cette proposition et dit qu’il fallait s’efforcer de détruire les mauvais exemples, et non les accroître par de plus mauvais encore ; et il exigea que l’on nommât de nouveaux consuls.

Si tous les citoyens de Rome avaient eu la même sagesse et la même vertu, on n’aurait point laissé s’introduire dans l’État cette coutume de continuer les magistrats