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prompte obéissance inspira de tels soupçons an sénat, que quelque temps après les Vénitiens s’assurèrent de ce gentilhomme en le plongeant en prison ou en le faisant mourir.

Je conclus donc que la conduite de Valerius est utile dans un prince, mais que, dans un citoyen, elle est dangereuse, non-seulement pour la patrie, mais encore pour lui-même ; pour la patrie, parce que c’est ainsi que l’on prépare les voies à la tyrannie ; pour lui-même, parce que l’État, pour se mettre à couvert des soupçons qu’il a conçus, est contraint d’employer, pour s’assurer de lui, des mesures qui lui sont funestes. Le procédé de Manlius, au contraire, ne peut dans un prince produire que du mal ; mais il est utile dans un citoyen, et surtout pour la patrie. Il est cependant des cas où il cause quelque mal : c’est lorsque cette haine qu’enfante la sévérité se trouve augmentée encore par les soupçons qu’inspirent les autres vertus qui vous ont acquis tant de considération ; comme nous allons le voir dans le chapitre suivant, au sujet de Camille.


CHAPITRE XXIII.


Par quels motifs Camille fut banni de Rome.


La conclusion du chapitre précédent a été, qu’en se conduisant comme Valerius, on nuit à la patrie et à soi-même, et qu’en suivant l’exemple de Manlius on se rend utile à l’État, mais qu’on se nuit aussi quelquefois. Je citerai, à l’appui de cette assertion, l’exemple de Camille, qui, dans sa conduite, ressemblait plutôt à Manlius qu’à Valerius. Aussi Tite-Live, en parlant de lui, dit-il que « ses soldats admiraient et haïssaient tout à la fois son courage, » ejus virtutem milites oderant et