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un État par la violence, il fallait qu’il y eût proportion entre celui qui l’employait et le peuple qui la souffrait ; que, lorsque cette balance existait, il était à présumer que la violence pourrait être durable ; mais que, lorsque l’opprimé était plus fort que l’oppresseur, on pouvait s’attendre chaque jour à voir cesser cette violence.

Pour en revenir à mon sujet, je dis que lorsque l’on donne des ordres pleins de vigueur, il faut être fort soi-même ; et celui qui, doué de cette force d’âme, donne des ordres rigoureux, ne peut ensuite descendre à la douceur pour les faire exécuter. Celui qui ne possède point une âme de cette trempe doit éviter les ordres extraordinaires ; mais dans ceux qui ne sortent point de la classe ordinaire, il peut s’abandonner à toute la douceur de son caractère, attendu que les châtiments ordinaires s’imputent seulement aux lois et à la raison d’État, et jamais au prince.

Il faut donc croire que Manlius fut contraint d’agir avec autant de rigueur par la nature de son caractère, qui l’inclinait aux ordres sévères. Ces ordres sont utiles dans une république ; car ils en ramènent les institutions à leur principe et la rappellent à son antique vertu. Si une république était assez heureuse pour voir souvent naître dans son sein des hommes dont l’exemple, ainsi que je l’ai dit, rendit la vigueur à ses lois, et qui non-seulement la retinssent sur le penchant de sa ruine, mais pussent la faire revenir sur ses pas, elle serait sans doute éternelle. Ainsi Manlius fut un de ces mortels dont la rigidité et le caractère absolu conservèrent dans Rome la discipline militaire : d’abord, il fut entraîné par la nature de son caractère ; et ensuite par le désir de faire observer les ordres que lui avaient dictés ses inclinations naturelles.

D’un autre côté, Valerius, à qui il suffisait de maintenir les règles de la discipline en vigueur dans les armées romaines, put s’abandonner à toute sa douceur.