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Cette erreur a souvent inspiré des déterminations funestes au salut de celui qui les a prises ; comme le prouve l’exemple de Brutus et de Cassius, auxquels une semblable erreur arracha tous les fruits de la guerre. L’aile commandée par Brutus avait défait les ennemis ; Cassius, de son côté, ayant été vaincu, se persuada que toute l’armée était en déroute ; désespérant alors du salut de la patrie, il se frappa d’un coup de poignard.

De nos jours, à cette bataille que François Ier, roi de France, livra aux Suisses, près de Santa-Cecilia, en Lombardie[1], la nuit étant survenue, un corps de Suisses qui n’avait point été entamé crut que la victoire lui était restée, n’ayant aucune nouvelle de ceux qui avaient été mis en déroute et tués ; cette erreur fut cause de leur perte, parce qu’ils attendirent le jour pour combattre de nouveau avec un si grand désavantage. Leur erreur fut partagée par l’armée du pape et de l’Espagne, dont elle fut sur le point de causer la ruine totale, attendu que, sur la fausse nouvelle de la victoire, elle avait passé le Pô, et que si elle eût continué à s’avancer, elle serait tombée entre les mains des Français victorieux.

Une erreur semblable trompa les Romains et les Éques. Le consul Sempronius était allé avec son armée à la rencontre de l’ennemi ; il l’avait attaqué, et l’on s’était battu jusqu’à la nuit avec différents succès des deux côtés ; de manière que l’une et l’autre armée, à moitié vaincue, ne voulut pas rentrer dans son camp, mais prit position sur les collines voisines, où elle se croyait plus en sûreté ; l’armée romaine se divisa en deux corps, dont l’un suivit le consul et l’autre demeura avec un centurion nommé Tempanius, dont le courage avait seul préservé dans la journée l’armée romaine d’une déroute complète. Lorsque le jour fut venu, le consul, sans s’informer davantage de l’ennemi, se retira vers Rome ;

  1. Bataille de Marignan.