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CHAPITRE XVII.


Il ne faut point outrager un citoyen, et lui confier ensuite ou un emploi ou un gouvernement important.


Un gouvernement doit faire attention à ne jamais confier une administration importante à quelqu’un qui aurait reçu une sanglante injure.

Claude Néron, ce fameux consul qui, s’éloignant de l’armée avec laquelle il s’opposait aux progrès d’Annibal, alla se réunir avec une partie de ses troupes à l’autre consul qui se trouvait dans la Marche d’Ancône, afin de combattre Asdrubal avant qu’il eût pu rejoindre Annibal, son frère ; Claude Néron, dis-je, s’était trouvé précédemment en Espagne, en présence du même Asdrubal, et l’avait resserré dans une position tellement désavantageuse, qu’il fallait ou qu’il combattît, ou qu’il mourût faute de vivres. Mais Asdrubal sut tellement l’amuser par de fausses démarches d’accommodement, qu’il parvint à s’échapper de ses mains, et à lui enlever cette occasion de le vaincre. Cet événement, à peine connu dans Rome, excita contre Néron le mécontentement du sénat et du peuple ; toute la ville se répandit en invectives contre lui, et il ne put voir sa honte sans indignation. Mais, ayant depuis été nommé consul et envoyé pour combattre Annibal, il prit la résolution dont nous venons de parler. Rome, qu’elle exposait aux plus imminents dangers, en demeura saisie de trouble et d’épouvante, jusqu’au moment où l’on reçut la nouvelle de la défaite d’Asdrubal. Comme on demanda par la suite à Néron quel motif l’avait engagé à tenter un parti si dangereux, et où, sans y être contraint par une extrême nécessité, il avait joué pour ainsi dire la liberté de Rome, il répondit qu’il s’y était déterminé parce qu’il