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toutes qualités qui furent inutiles à la république tant qu’il eut un collègue à ses côtés.

Je citerai de nouveau, à l’appui de cet exemple, un passage de Tite-Live. Il rapporte que les Romains ayant envoyé contre les Éques Quintius et Agrippa son collègue, ce dernier exigea que toute la conduite de la guerre fût confiée à Quintius, et il dit : Saluberrimum in administrations magnarum rerum est summam imperii apud unum esse.

Nos républiques et nos princes suivent une conduite bien différente : ils ont l’habitude d’envoyer, pour diriger les opérations, plusieurs commissaires ou plusieurs généraux, sans s’apercevoir des désordres incalculables qui en résultent. Si l’on voulait rechercher quelle a été la cause de la ruine de tant d’armées italiennes et françaises que nous avons vue de nos jours, on serait convaincu que cette habitude en a été la plus puissante.

Concluons donc qu’il est moins dangereux de charger d’une expédition importante un homme seul, quoique doué d’une capacité ordinaire, que deux hommes supérieurs, revêtus d’une égale autorité.


CHAPITRE XVI.


Dans les temps difficiles, c’est au vrai mérite que l’on a recours ; et lorsque tout est tranquille, ce ne sont pas les hommes vertueux, mais ceux que distinguent leurs richesses ou leurs alliances, qui obtiennent le plus de faveur.


On a vu et l’on verra toujours que les hommes rares et éminents en vertu, qui brillent au sein d’une république, sont négligés lorsque les temps sont paisibles : l’envie, qui accompagne la réputation que leur ont méritée leurs grandes qualités, excite contre eux une foule de citoyens qui non-seulement se croient leurs égaux,