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l’apparence de la réalité, plus on peut les employer sans balancer. Comme ils ont pour ainsi dire un fondement solide, on ne saurait, au premier coup d’œil, en découvrir toute la faiblesse ; mais lorsqu’ils ont plus d’apparence que de réalité, il est bon, ou de ne pas s’en servir, ou, si l’on en fait usage, de les tenir assez éloignés des regards pour qu’on ne puisse facilement en découvrir le mensonge : c’est ce que fit Caïus Sulpitius avec ses valets d’armée. En effet, lorsque ces stratagèmes ne renferment qu’une vaine apparence, elle frappe bientôt tous les yeux ; et loin de vous servir, ils vous deviennent funestes : comme le prouve ce qui arriva à Sémiramis avec ses éléphants, et aux Fidénates avec leurs feux. Les Romains, il est vrai, éprouvèrent d’abord quelque émotion ; mais le dictateur étant accouru, leur demanda s’ils n’avaient pas honte de fuir la fumée, comme les abeilles, et leur imposa l’obligation de revenir sur l’ennemi, en s’écriant : Suis flammis delete Fidenas, quas vestris beneficiis placare non potuistis. Ainsi cette ruse que les Fidénates avaient imaginée ne leur servit en rien, et ils furent vaincus dans la bataille.


CHAPITRE XV.


Une armée ne doit obéir qu’à un seul général, et non à plusieurs, et la multiplicité des chefs est dangereuse.


Les Fidénates s’étaient révoltés, et avaient massacré la colonie envoyée à Fidène par les Romains. Rome, pour venger cet outrage, créa quatre tribuns avec autorité consulaire : l’un d’entre eux fut laissé à la garde de la ville, et l’on fit marcher les trois autres contre les Fidénates et les Véïens ; mais, comme ces tribuns étaient divisés entre eux, le déshonneur fut tout ce qu’ils rap-