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même, ainsi que je l’ai déjà dit, un mal qui lui est propre, et qui enfante des accidents nouveaux, il est indispensable de recourir à des mesures nouvelles.

La puissance tribunitienne, enorgueillie par son propre pouvoir, devint redoutable à la noblesse et à tous les citoyens de Rome ; et il en serait résulté quelque accident funeste à la liberté, si Appius Claudius n'avait fait voir de quelle manière il fallait se défendre de l’ambition des tribuns. Comme il se trouvait toujours parmi eux quelque homme faible ou corruptible, ou ami du bien public, on lui inspirait l’idée de s’opposer à la volonté de ses collègues toutes les fois qu’ils voulaient mettre en avant quelque motion contraire aux désirs du sénat. Ce remède tempéra d’une manière efficace cette grande autorité, et fut pendant longtemps favorable à la république.

C’est ce qui m’a fait penser que toutes les fois que plusieurs hommes puissants se réunissent contre un adversaire également puissant, quoique leurs forces réunies soient plus considérables que celles de leur rival, néanmoins on doit plus espérer encore en celui qui est seul, quoique moins fort, que dans le plus grand nombre, quoique extrêmement puissant. Sans parler des ressources dont un homme seul peut mieux se prévaloir que plusieurs, ressources qui sont infinies, il arrivera toujours qu’il lui sera facile, quand il voudra user d’un peu d’adresse, de semer la mésintelligence parmi le grand nombre, et d’affaiblir ainsi ce corps qui semblait si robuste. Je ne rapporterai à ce sujet aucun exemple de l’antiquité, quoique ces exemples ne me manquassent pas ; je me contenterai de quelques-uns arrivés de nos jours.

En 1484, toute l’Italie conspira contre les Vénitiens ; ils touchaient à leur perte, et leur armée ne pouvait plus tenir la campagne, lorsqu’ils corrompirent le seigneur Lodovico, qui gouvernait Milan ; et par un traité, fruit