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leurs complices, personne ne voulant embrasser leur parti sans être appuyé d’une de ces grandes espérances qui font que les hommes se précipitent au milieu des périls ; de sorte que, dès qu’ils se sont confiés à plus de deux ou trois personnes, ils trouvent bientôt l’accusateur, et échouent. Mais quand ils seraient assez heureux pour n’avoir point de traîtres parmi eux, ils sont environnés, pour en venir au fait, de tant d’obstacles, l’accès auprès du prince leur est si difficile, qu’il est impossible que l’exécution ne cause pas leur perte ; et quand les courtisans, à qui toutes les entrées sont ouvertes, succombent sous les difficultés dont nous parlerons plus bas, il est clair que ces difficultés ne feront que s’accroître pour les autres.

Cependant les hommes, quand il y va de leur vie et de leur fortune, ne sont pas entièrement insensés ; aussi, se voient-ils trop faibles, ils se gardent de conspirer ; ils se contentent de maudire le tyran, et attendent la vengeance de ceux que leur pouvoir et leur rang élèvent au-dessus d’eux. Si cependant il arrivait que quelque homme de cette espèce eût formé une pareille entreprise, il faudrait louer son intention si l’on était forcé de blâmer sa prudence.

On voit donc que tous ceux qui ont conspiré étaient des hommes puissants dans la familiarité du prince ; et, parmi cette foule de conjurés, les uns ont été excités autant par de trop grands bienfaits que par de trop cruels outrages. Tels furent Perennius contre Commode, Plautianus contre Sévère, Séjan contre Tibère. Tous avaient été comblés, par leurs maîtres, de tant de richesses, d’honneurs et de dignités, qu’il semblait qu’il ne manquât à l’étendue de leur puissance que l’empire même : avides de posséder ce qui leur manquait, ils conspirèrent contre le prince ; mais leurs complots eurent tous l’issue que méritait leur ingratitude. Cependant, dans des temps plus rapprochés de nous, nous avons vu